jeudi 10 mai 2018

Elections en Turquie - Coopération des partis d'opposition en faveur d'un retour à la normale de la démocratie turque

Il y a une vingtaine de jours, l'exécutif turc (c'est à dire Recep Tayyip Erdogan) prenait la décision (1) d'anticiper les élections législatives et présidentielles - initialement prévues le 3 novembre 2019 - en choisissant la date du 24 juin 2018. 

A cet égard, nombreux sont ceux qui ont évoqué des "élections éclair", tant la volonté du gouvernement actuel de l'AKP (Parti de la justice et du développement) semble avoir été de prendre par surprise les groupes politiques d'opposition, et ce sur fond de conjoncture économique dégradé et de contexte géopolitique caractérisé par une tension continue.

Ces élections ne sont pas anodines puisqu'elles verront entrer en vigueur l'intégralité des modifications adoptées lors du référendum constitutionnel du 16 avril 2017, qui se traduiront - pour faire court - par une rupture nette avec une tradition parlementaire séculaire (2) au profit d'une concentration du pouvoir, ainsi que par la prise d'acte de la déperdition du principe de primauté du droit. 

Le contexte national dans lequel vont se tenir ces élections (3) est très loin d'être idéal: 
- d'une part l'état d'exception (OHAL) déclaré, le 20 juillet 2016, à la suite du coup d'Etat avorté est toujours en vigueur, 
- d'autre part, l'égal accès des idées et opinions politiques à la presse écrite et à la radio-télévision est des plus limité, 
- enfin, l'appareil d'Etat tout entier est à la disposition d'un unique candidat et d'un unique parti ainsi que la campagne référendaire de 2017 a pu le montrer.  

Ces facteurs ne sont pas de nature à permettre la tenue d'élections compétitives et loyales. 

Néanmoins, ces circonstances n'ont pas constitué un frein pour les diverses forces d'opposition. C'est ainsi que plusieurs partis politiques ont formé une "alliance électorale" en vue des législatives - conformément à une modification récente de la loi électorale (4) - sur la base de principes communs que l'on peut rapidement résumer de la manière suivante :
retour à un régime parlementaire, restauration de l'Etat de droit et de la séparation des pouvoirs avec une justice indépendante et impartiale, garantie de l'ensemble des droits et libertés, volonté de contribuer à des élections conduisant à une représentation juste de la population et volonté de s'assurer de l'intégrité du scrutin contre toute velléité de fraude. 

Ces principes ont été consignés dans un document ou protocole intitulé "Déclaration de coopération électorale entre partis", dont le texte a été déposé auprès du Haut Conseil Électoral conformément à la loi électorale, après avoir été signé par le président de chacune desdites formations politiques. Si cette déclaration ne vaut que pour le scrutin législatif, nul doute que ses principes concernent également l'élection présidentielle. 

La démarche semble inédite, tant elle va à rebours de la tendance à la polarisation pesant sur la société turque depuis plusieurs années, en s'attachant à clamer haut et fort des principes universels au-delà des orientations et idées propres à chacun de ces partis politiques. 

Alors certes, d'aucuns rétorqueront que cette alliance ne comprend pas le Parti démocratique des peuples (HDP) (5) - et c'est un point qui a fait l'objet de vives critiques, mais cela ne doit pas - ne peut pas - à notre sens conduire à faire fi de cette démarche visant à assurer un retour à la normale de la démocratie turque. 




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traduction proposée 
via acceptions><croisées
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Déclaration de coopération électorale entre partis

5 mai 2018

La réalisation d'un accord autour des principes démocratiques par des franges de la société ayant chacune leurs propres modes de vie et opinions politiques est la condition sine qua non de la paix, de la sérénité et de la stabilité dont notre nation a besoin.  Dans toute démocratie, l'élaboration et la mise en application de la Constitution et de la loi électorale - en ayant pour référence le principe de primauté du droit, constituent la source de légitimité des gouvernements et incarnent les fondations du régime de compromis qu'est la démocratie.

Les modifications apportées à la loi sur les partis politiques et à la loi électorale concomitamment à la décision d'anticiper les élections regorgent de dispositions et d'obstacles de nature à vicier tant le principe d'équité dans la représentation, que la pleine expression de la volonté populaire. Neutraliser ces barrières qui se dressent devant la volonté de la nation est le devoir premier et fondamental de tout parti politique soucieux d’un fonctionnement sain de la démocratie. L'expression pleine et entière de la volonté nationale, l'affirmation d'une Assemblé forte reposant sur la séparation des pouvoirs, et l’édification d’une Turquie forte sont de l’intérêt partagé de l’ensemble de notre nation.

C’est pourquoi nous pensons qu’il est important que les partis politiques ayant des approches diverses au sujet des problèmes du pays et proposant des solutions différentes, selon leurs propres points de vue, réalise une « coopération électorale » afin d’assurer l’équité dans la représentation et de garantir que la volonté de chacun des membres de notre peuple soit représentée au sein de notre Haute Assemblée, sans aucune pression, ni manipulation.
Conscient des circonstances difficiles dans lesquelles se trouvent notre pays - en présence de notre Auguste Nation et en prenant à témoin l’ensemble de nos concitoyens, nous nous sommes réunis dans le cadre d’une « coopération électorale », afin de :
1- Mettre fin à la division et à la polarisation de la société, et contribuer à l’organisation d’élections équitable et sincère dans un climat de sérénité, de fraternité et de confiance ardemment souhaité par notre peuple ;
2- Normaliser le système politique de notre pays et refonder le champ politique à la lumière des principes régissant toute démocratie pluraliste et compétitive ;
3-  Assurer la prééminence du droit à l’aune du principe de la séparation des pouvoirs, et garantir l’indépendance et l’impartialité de la justice ;
4- Assurer la jouissance de l'ensemble des droits et libertés fondamentales - au premier rang desquelles la liberté d'expression et la liberté de la presse - par nos concitoyens et nos institutions.
Tout en conservant des programmes et des visions du monde différents, nous avons décidé, en tant que Parti Républicain du Peuple (CHP), Parti Démocrate (DP), Bon Parti (IP) et Parti de la Félicité, de coopérer en vue des élections pour les élections législatives de la 27ème législature qui auront lieu le 24 juin 2018. Dans le cadre de cette coopération, le Parti Républicain du Peuple (CHP), le Bon Parti (IP) et le Parti de la Félicité (SP) vont participer aux élections sous la dénomination commune d’« Alliance du peuple » avec chacun leur propre emblème de parti, tandis que le Parti Démocrate prendra part à cet Alliance en présentant ses candidats sur les listes du Bon Parti.

Cette déclaration s’adresse respectueusement à notre Auguste Nation.
Kemal Kiliçdaroglu, président du Parti Républicain du Peuple (CHP)
Gultekin Uysal, président du Parti Démocrate (DP)
Merak Aksener, présidente du Bon Parti (IP)
Temel Karamollaoglu, président du Parti de la Félicité (SP) 

Texte original (en turc).


(2) Avec ses hauts et ses bas certes, mais une histoire parlementaire tout de même.

(3) Voir à ce sujet notamment le communiqué de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe: Turquie : un contexte défavorable « empêchera la tenue d’élections véritablement démocratiques ».

(4) Cela a été rendu possible par une modification de la loi électorale turque à la mi-mars 2018 qui avait pour but de faciliter le regroupement de partis au sein d'une alliance en vue des élections législatives. La modification permet ainsi à des formations politiques de passer outre le seuil de 10% conditionnant la possibilité pour un député de siéger au Parlement à l'obtention par son parti politique de plus de 10 % des suffrages exprimés à l'échelle nationale. Si cette modification visait à satisfaire le MHP (Parti d'action nationaliste), désireux de s'allier à l'AKP, force est de constater que le MHP n'est pas le seul bénéficiaire de ces dispositions.   

(5) Dans le cadre de "visites de courtoisie" auprès de ses concurrents,  Muharrem Ince, candidat du CHP pour l'élection présidentielle, a rendu visite à Selahattin Demirtas, également candidat (HDP), et il a, notamment à cette occasion, appelé à une libération de celui-ci afin de permettre la tenue d'une élection compétitive et égale. Un appel similaire a été formulé dernièrement par Temel Karamollaoglu, candidat du SP pour l'élection présidentielle. 



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