samedi 31 mars 2018

Le rapport Clavreul ou les errements d’un certain discours sur la laïcité

AVERTISSEMENT: article publié dans le cadre des Lettres Actualités Droits-Libertés du CREDOF le 27 mars 2018


Ces dernières années ont vu une prolifération de la production non seulement normative mais également discursive traitant du principe de laïcité. A cet égard, un certain nombre d’avis, d’étude ou encore de rapport ont été rendus tant par des instances officielles (Conseil d’Etat ou autres autorités consultatives) que par des personnes missionnées par l’Etat. Le rapport de Gilles Clavreul, rendu sur commande du ministère de l’intérieur, avait ainsi vocation à se prononcer sur une amélioration de la coordination des actions menées par l’Etat et les collectivités territoriales en matière de laïcité. A la lecture, il s’avère que le rapport ne s’est pas limité au traitement de cette question, et a procédé davantage d’une volonté de faire ressortir des situations - réelles ou supposées - jugées problématiques en termes de  « laïcité, valeurs de la République et exigences minimales de la vie en société ». L’apparentement réalisé, à cette occasion, entre ces trois notions ou concepts n’est pas étranger aux tensions actuelles relatives à leur interprétation, et ne semble, en définitive, pas être de nature à contribuer à la tenue d’un débat public raisonné.



Le 22 février 2018, était rendu public un rapport intitulé « Laïcité, valeurs de la République et exigences minimales de la vie en société - Des principes à l’action » sous la plume du préfet Gilles Clavreul1. Celui-ci faisait suite à une commande du secrétaire général du ministère de l’Intérieur - membre de l’Observatoire de la laïcité - et visait à mettre en œuvre une recommandation générale de l’Observatoire tendant à « améliorer la coordination des actions des administrations de l’État et des collectivités locales sur le sujet de la laïcité ». Il devait donc a priori ne s’agir que d’un « document de travail » à finalité opérationnelle en vue d’une meilleure convergence des actions de formation et de pédagogie menées tant au niveau étatique qu’au niveau décentralisé. Le rapport a toutefois suscité de nombreuses réactions, au premier rang desquelles figure celle de l’Observatoire de la laïcité qui estime, dans un communiqué du 22 février 2018, que le rapport n’a pas respecté la commande du ministère de l’Intérieur en outrepassant le périmètre de celle-ci, faisant fi de certaines actions déjà menées par l’Observatoire et se caractérisant par un « manque de rigueur méthodologique ».

2L’analyse juridique de ce rapport n’est, à l’évidence, pas aisée pour une série de raisons tenant aux choix d’investigation de son auteur sur lesquels il sera revenu ; ce type de rapport se prêtant, selon nous, davantage à une étude sociologique ou encore sémantique2. Le rapport est d’emblée marqué par une absence de définition du principe de laïcité, ce qui n’est pas dépourvu de lien avec le contexte dans lequel cette mission a vu le jour, et qui n’est pas sans incidence non plus sur le contenu et la tonalité du rapport (1°/).
3La méthode de rédaction du rapport pose également son lot de problèmes ; le rapporteur n’hésitant pas à le reconnaître, lui-même, à différentes reprises. Ainsi il est fait état d’une succession de faits qui ne sont ni sourcés, ni confirmés. En outre, se pose la question de savoir à quel point le « diagnostic » esquissé par le rapport est représentatif de la réalité. En d’autres termes, la situation dépeinte est-elle représentée de manière fidèle ou superficielle ?? Enfin, il y a lieu de relever certaines inexactitudes juridiques ou contradictions quant à la présentation du droit applicable dans telle ou telle configuration (2°/).
4Ce biais méthodologique, conjugué à l’absence de définition du principe de laïcité dans le cadre d’un rapport ne correspondant que partiellement au champ d’investigation censé être le sien, n’est pas sans lien avec le message général que ce rapport porte en germe. Le message en cause conduit en quelque sorte à apparenter principe de laïcité, valeurs de la République et exigences minimales de la vie en société - rejoignant en cela un discours croissant appelant à une laïcité de plus en plus prescriptive (3°/).

La suite ICI : lien internet et PDF


1 Sauf erreur, le rapport n’a, à ce jour, fait l’objet d’une publication sur aucun site institutionnel : il a été mis en ligne par le journal Le Figaro sur un site dédié au visionnage de documents.
2 En guise d’exemple de ce qui pourrait faire l’objet d’une approche sémantique, ce passage tiré de la partie 1.1.2. Procession, célébrations en public et « prières de rue » (page 10) peut être lu  : « Plusieurs mouvements chrétiens organisent des prières collectives, parfois en conclusion d’une mobilisation de nature politique (opposition au Mariage pour tous) ou politico-humanitaire (soutien aux Chrétiens d’Orient) », « s’agissant des lieux de culte musulmans, des prières à l’extérieur de la mosquée sont évoquées dans plusieurs départements […], le plus souvent en invoquant une place insuffisante à l’intérieur du lieu de culte, ce que les maires ou les services du renseignement territorial infirment parfois, mentionnant une intention de « faire nombre », vis-à-vis des pouvoirs publics mais surtout des fidèles. ». Nous soulignons.