jeudi 15 octobre 2015

Méta-décryptage. A propos de l’émission « Grand Décryptage » du 14 octobre 2015 relative à « l'affaire de l'IUT de St-Denis ».


Venant de visionner l’émission « Grand Décryptage » d' Olivier Galzi en date du 14 octobre 2015 et intitulée « Communautarisme : le combat du directeur de l'IUT de Saint-Denis », je ne peux que déplorerconstater que l'émission est très loin d'atteindre l'objectif qu’elle se fixe dans son intitulé à tel point que d’aucuns pourraient y voir davantage un « Grand Enfumage » qu’un travail de réelle analyse et de compréhension.





Et pour cause, les faits portent sur une série de dysfonctionnements touchant l’IUT de Saint-Denis, incidents dont la dernière séquence a été l’agression du directeur de l’IUT Samuel Mayol, vendredi 9 octobre 2015.

Suivant cette « affaire » depuis quelques temps notamment en raison de la présentation médiatique qui en est faite (exclusivement axée sur un problème de communautarisme et de laïcité), l’émission citée a permis de fournir une illustration éclatante:

- d’une part, de la carence manifeste du travail journalistique d’explicitation des différents aspects de cette affaire, nous y reviendrons (I);

- d’autre part, du manque d’impartialité et d’équilibre dans la tenue des débats notamment du fait de la posture du présentateur Olivier Galzi (II).

Tandis que la question de la protection de l'intégrité physique de Samuel Mayol et des investigations menées à cet égard a, elle, été peu abordée (III).




I. LE MANQUE D’EXPLICITATION DES DIFFERENTES FACETTES DU DOSSIER « IUT ST-DENIS »


En effet, pour toutes les personnes qui suivent cette affaire de l’extérieur comme moi sans connaissance approfondie du dossier, il faut reconnaître que celle-ci est pour le moins difficile à appréhender car elle a trait à différents éléments litigieux concernant un seul et même établissement : l’IUT de Saint-Denis. Quel sont-ils ? Rapidement, il serait question :

-de détournements de fonds publics destinés à la rémunération d’enseignants de cet IUT ;
-de relations houleuses de l'IUT avec une association étudiante du fait de ses activités prétendument prosélytes ou à coloration culturelle et notamment de l’occupation d’un local de l’IUT ;
-de menaces réitérées ainsi que de 2 agressions à l’encontre du directeur de l’IUT.

Ces faits ont notamment fait l’objet d’un récent rapport  de l’IGAENR (1). 

--> De ces 3 points, c’est essentiellement le dernier qui retiendra notre attention en raison notamment de sa gravité, les 2 premiers points étant plus "techniques" (vérification de la matérialité des faits, procédure disciplinaire).

--> Ainsi il peut être constaté que bien que  l’affaire de l’IUT de Saint-Denis semble avoir plusieurs facettes, la présentation médiatique de cette affaire ne se fait exclusivement que sous un seul et même angle : avec des mots-balises tels que « laïcité » (en péril) ou encore « communautarisme » :


capture d’un tweet annonçant l’émission





capture du bandeau de l’émission qui sera 
le même pendant toute la durée de l’émission





--> Alors certes, cette affaire peut avoir une facette qui relèverait de problématiques en lien avec des activités prosélytes ou à coloration culturelle, mais la réduire exclusivement à cet aspect est plus que contestable et introduit un biais médiatique potentiellement non-dénué de conséquence sur l’opinion publique suivant cette affaire.



II. LA MISE EN SCENE D’UN TRIBUNAL MEDIATIQUE


Le visionnage de l’émission laisse effectivement l’impression d’un procès en direct de Jean-Loup Salzmann (président de l'Université Paris 13 à laquelle est rattaché l'IUT) à telle point qu’Olivier Galzi se sent obliger de concéder à celui-ci un « c’était courageux (de venir ici) » en fin d’émission.  Poursuivons l’analogie judiciaire…

--> Le présentateur de l’émission semble occuper la position d’un "juge" peu enclin à assumer une posture impartiale dans la tenue des débats :

+ Invoquant le rapport de l’IGAENR, le présentateur pointe avec force la responsabilité de Jean-Loup Salzmann : « c’est VOUS (nous mettons volontairement en lettres majuscules cette désignation marquée dans le ton de la voix --> 10’’10) qui êtes mis en cause dans ce rapport très clairement noir sur blanc ! »
+ Olivier Galzi poursuit l’accusation (12’’40) : « c’est un jugement assez sévère pour votre action, pour votre non-non action » en se prévalant toujours du rapport de l’IGAENR sur les dysfonctionnements de l’IUT de Saint-Denis. Le présentateur va plus loin en allant jusqu'à suggérer un lien entre une prétendue carence de Jean-Loup Salzmann et la dernière agression de Samuel Mayol --> lien catégoriquement dénié par Jean-Loup Salzmann « c’est vous qui faite le lien [… ] C’est votre responsabilité » (2).
+ Le présentateur continuera le questionnement de la responsabilité du président de l’Université Paris 13 tout au long de l’émission : « est-ce que vous avez pensé à démissionner ? » (21’’20) ; « beaucoup vous en veulent, beaucoup disent que le responsable c’est VOUS là-bas ! » (22’’55)… A chaque fois une dénonciation qui peut être légitime, mais qui manque en décryptage, en explicitation des griefs.


--> Tandis que Richard Malka, avocat de Samuel Mayol, occupe davantage une position de "procureur "(9’’00) :

+ « Pourquoi n’avez-vous pas déposé plainte après le rapport de l’IGAENR ? ». Réponse de Jean-Louis Salzmann : car « l’IGAENR n’a pas demandé cela » (l’IGAENR à qui il s’était adressé pour « savoir la matérialité des faits et ce qu’il fallait faire »).
+Richard Malka enchaîne : « est-ce que vous avez consacré 2 minutes à appeler Samuel Mayol suite à son agression ? ». Réponse de Jean-Louis Salzmann : « le DGS l’a appelé, l’Université l’a appelé ». L’avocat reprendra ce reproche en toute fin d’émission.
+ Plus loin, Richard Malka accusera Jean-Louis Salzmann de pratiquer la langue de bois, d’enterrer les conclusions du rapport de l’IGAENR… et lui reprochera de demander une nouvelle enquête de l’IGAENR (enquête qui serait sollicitée par le ministère et non Jean-Louis Salzmann --> 22’’00).

--> Si de telles postures sont parfaitement compréhensibles pour l’avocat Richard Malka (celui-ci étant dans son rôle de défense des intérêts de son client Samuel Mayol), elles le sont moins quand il s’agit du présentateur de l’émission eu égard aux exigences de déontologie journalistique pouvant être attendues d'un animateur d’une émission de débat ayant une vocation au « décryptage », c’est-à-dire ayant la prétention d’éclairer les spectateurs sur un sujet d’actualité plus ou moins complexe. 

--> Face à ces postures, force est de constater que Jean-Loup Salzmann garde une sérénité et une volonté constante de précision et d’argumentation. Voici quelques retranscriptions de réponses de sa part :

+ A propos des violences commises à l’endroit de Samuel Mayol, Jean-Loup Salzmann rappelle qu’il a condamné et dénoncé ces agissements (4''30>5’’00) ajoutant qu’il n’était pas la police, ni la justice pour agir plus spécifiquement concernant des violences commises hors de l’enceinte de l’université.
+ « Quand l’inspection générale nous demande de fermer les locaux (utilisée par une association controversée), nous les avons fermés ».
+ Olivier Galzi passe ensuite à la question de la distribution de sandwichs par cette même association : « l’association litigieuse aurait des droits exorbitants comme le droit de vendre des sandwichs alors qu’il n’y  a que le CROUS qui peut en vendre » --> démenti de Jean-Loup Salzmann : «  il n’y a pas que le CROUS qui peut vendre des sandwichs ? c’est une erreur, […] il n’y a pas de monopole en la matière dès lors qu’il y a  autorisation de l’université ».
+ Olivier Galzi suggère plus loin que pour Jean-Loup Salzmann cette affaire (dans ses multiples facettes) n’avait pas d’importance, Jean-Loup Salzmann le reprend alors : « je n’ai pas dit que ça n’avait pas de grande importance, c’est vous qui l’avait dit » --> 14’’00).
Jean-Loup Salzmann  recontextualisera cette affaire en rappelant les nombreux dysfonctionnements relatifs à cet IUT : constat qui a motivé sa demande initiale d’une inspection du ministère.
+ Surtout Jean-Loup Salzmann ne semble pas « se défausser » face à sa (ses) responsabilité(s) (16’’00), laquelle était à nouveau mise en exergue par Olivier Galzi sur la base du rapport de l’IGAENR --> et Jean-Loup Salzmann de répondre : « ils me disent (IGAENR) que je suis responsable donc j’essaye de réparer les erreurs que j’aurai pu faire.. bien sûr que je fais des erreurs, j’en fais tous les jours et j’en fait peut être une en venant aujourd’hui sur ce plateau».



III. LA QUESTION DE LA PROTECTION DE L’INTEGRITE PHYSIQUE DE SAMUEL MAYOL


Comme nous l'évoquions dans la première partie de ce propos, il nous semble que la question la plus pressante dans ce dossier est celle de la protection de l’intégrité physique du directeur de l’IUT. En effet, celui-ci a fait l’objet de dizaines de menaces depuis plusieurs mois ainsi que de 2 agressions dont une très récente (vendredi 8 octobre 2015).

Martine Cerf soulignait bien ce point en fin d’émission et dénonçait le fait que c’est le ministère et non la présidence de l’université qui avait porté plainte à cet égard. Face à quoi, Jean-Loup Salzmann opposa un énième démenti « mais je l’ai fait, je ne viens pas sur les plateaux tous les jours dire ce que je fais etc..» (23''17).

A partir de là, nous nous demandons bien à quel stade se situe l’enquête pénale diligentée sur la base de ces faits (menaces et agressions) d’une part, et pourquoi le directeur de l’IUT ne vient de bénéficier d’une protection policière que depuis le lundi 12 octobre 2015 (3). 

Si menaces et atteintes à l’intégrité physique et ou morale il y a, la justice doit, au plus vite, en retrouver les auteurs et en réprimer les agissements illicites.


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(1) Aux dires de Jean-Louis Salzmann, président de l’Université Paris 13 à laquelle est rattaché l’IUT de Saint-Denis, ce rapport devrait être suivi d’un autre rapport sur demande du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche - certaines conclusions du rapport étant contestées par la présidence de l'université Paris 13. 

(2) Démenti suivi d’une tentative de rétropédalage du présentateur : « ce n’est pas moi c’est Samuel Mayol qui le dit ».  

(3) L'information est donnée par Richard Malka durant l’émission.