lundi 29 juin 2015

Baroin et les propositions de l’AMF « en faveur » de la laïcité : entre réaffirmations du droit positif et velléités de poursuivre la refonte du principe de laïcité


Mercredi 24 janvier, l’Association des Maires de France - sous la houlette de son président François Baroin - a publié des positions et propositions en faveur de la laïcité. Dans le contexte ambiant de brouhaha politique et médiatique autour du principe de laïcité, le commentaire d’un tel texte n’était pas forcément enthousiasmant et ce d’autant plus qu’un de ses instigateurs était Gilles Platret, maire de Chalon-sur-Saône, qui s’était vaillamment illustré par sa décision de mettre fin aux repas de substitution (c’est-à-dire a minima des repas sans porc et plus couramment des repas végétariens) en invoquant fallacieusement le principe de laïcité - nous y reviendrons brièvement.

Le texte débute sur un rappel pertinent : l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 et les articles 1 et 2 de la loi du 9 décembre 1905, deux sources normatives inévitables lorsqu’il est question de l’appréhension juridique du principe de laïcité.

Il poursuit par des considérations liminaires visant à rassurer le lecteur de la « bonne intention » du travail ainsi engagé :






Le texte continue en énumérant des positions et propositions dans différents domaines qui sont examinés successivement : associations, petite enfance, lieux de cultes, écoles, sports... A leur lecture, un rapide - mains néanmoins attentif - examen de celles-ci permet de voir qu’il n’y a là rien de très neuf par rapport à l’état du droit existant d’une part, et d’autre part, lorsque « nouveauté » il y a, c’est davantage pour entériner une conception dévoyée du principe de laïcité qui peut entrer en contrariété manifeste avec le respect de libertés fondamentales en étant étendu au-delà de sa stricte application à la puissance publique.  

La répétition de solutions d’ores et déjà reconnues et appliquées dans le droit positif

Il n’est pas question ici de réaliser un examen détaillé et exhaustif desdites positions et propositions, mais d’en scruter quelques-unes :

à Concernant le financement des associations :




A noter tout d’abord, un 1er point relatif à l’insertion de clause appelant au respect du principe de laïcité lors du traitement de demande de subventions, alors qu’il s’agit là d’une obligation déjà existante pour les collectivités publiques au même titre que l’obligation de bonne gestion des deniers publics etc.

Le 2nd point vise à garantir que les subventions ne soient pas utilisées à des fins étrangères à l’intérêt général local… or là aussi, pas de bouleversement du droit existant dans la mesure où les subventions sont en principe versées dès lorsqu’elles peuvent être justifiées par leur contribution à la réalisation d’un intérêt public local.

à Concernant la culture :



Il s’agit d’un simple rappel du droit émanant de la loi de 1905 et interprété par le Conseil d’Etat. Rien de neuf.

à Concernant les lieux de culte :

L’AMF prend acte des outils déjà existants permettant l’édification de lieux de culte avec le soutien plus ou moins affirmé de collectivités publiques (garantie d’emprunt, BEA…) et propose leur optimisation :




à Concernant la mise à disposition de salles communales :

L’AMF fait état de la position suivante feignant de voir des incohérences dans l’état du droit positif :



En effet, la solution du droit est déjà fixée dans ce cas de figure : le Conseil d’Etat n’admet pas la mise à disposition gracieuse de salles communales pour y entreprendre des activités cultuelles - hypothèse qui contreviendrait à l’interdiction de subventionnement des cultes prévue dans la loi de 1905 (interdiction qui connait de multiples réserves néanmoins).

Pour l’essentiel, la question du financement public plus ou moins direct d’infrastructures ou d’activités liées au culte fait l’objet d’une jurisprudence marquée par un effort de systématisation solennelle opérée par l’Assemblée du Conseil d’Etat dans cinq arrêts rendus le 19 juillet 2011 (pour un aperçu synthétique élaboré par la haute juridiction administrative : Dossiers-thematiques/Le-juge-administratif-et-l-expression-des-convictions-religieuses).

La volonté de poursuivre la refonte du principe de laïcité dans le sens d’une restriction accrue de libertés fondamentales


Une telle dynamique n’est pas étonnante pour deux séries de considération :
- d’une part, le dévoiement permanent que connaît le principe de laïcité, dont l’instrumentalisation politique et médiatique depuis une dizaine d’années conduit à en légitimer une vision autorisant de multiples restrictions à des libertés fondamentales,
- d’autre part, certains initiateurs du présent texte se sont illustrés par une compréhension toute particulière du principe de laïcité :
                  * Gilles Platret, par la pratique discriminatoire qu’a révélée sa décision de mettre fin aux repas de substitution dans les cantines de sa commune et l’invocation fallacieuse du principe de laïcité auquel il a eu recours pour justifier cette mesure
                * François Baroin, qui est connu comme le promoteur d’une certaine vision de la laïcité dont on entend de plus en plus parler : la « nouvelle laïcité » (du nom d’un rapport qu’il avait commis au début des années 2000) ou une laïcité « culturelle et identitaire » selon Jean Baubérot et qui peut entrer en contradiction avec les droits de l’homme.

Là encore, un coup d’œil rapide peut être jeté aux positions et propositions du texte de l’AMF:

à Concernant le personnel des crèches publiques et les assistantes maternelles :



Le texte préconise que l’obligation de neutralité incombant au personnel des crèches publiques - et sous certaines conditions à celui de crèches privées ainsi que l’a esquissé la jurisprudence Baby-Loup (Cass, AP, 25 juin 2014) - s’impose également aux assistantes maternelles, alors même qu’une récente proposition de loi ayant vocation justement à entériner la solution dégagée par la Cour de cassation dans l’affaire en question s’était résignée à supprimer une disposition similaire imposant une obligation de neutralité aux assistantes maternelles.  



à Concernant l’accompagnement des enfants de l’école publique lors de sorties scolaires :

Le texte reconnait que ce dossier ne relève pas de la compétence des communes, mais il préconise néanmoins ensuite que les sorties scolaires doivent se dérouler dans un « contexte général de laïcité » contrebalançant ensuite par la nécessité d’intégrer les parents au fonctionnement de l’école. Quid de ce « contexte général de laïcité » ?




Ce mouvement de balancier est également perceptible dans un entretien accordé par François Baroin au JDD le 28 juin 2015 à propos du texte de l’AMF lorsque son opinion est sollicitée sur l’interdiction du voile à l’Université (thème non-évoqué dans le texte de l’AMF).



Le président de l’AMF oscille ainsi entre 2 pôles - interdire ou ne pas interdire - synthétisé dans le schéma ci-dessous :   



à Concernant la diversification des menus dans la restauration scolaire publique:


Le texte de l’AMF rappelle le caractère facultatif de ce service public et affirme à cet égard le fait que ce sont les familles qui doivent d’adapter aux règles de l’école républicaine laïque et non l’inverse… Cette rhétorique est bien connue pour son intransigeance revendiquée et partagée comme marqueur identitaire, feignant de voir dans les processus d’institutionnalisation républicains une dynamique univoque alors même que les réalités historiques et quotidiennes ont laissé une large place aux échanges et à la concertation.
  



Le texte énonce ainsi que les « menus confessionnels » doivent être refusés et appellent à la mise en place de « menus de substitution ». Cette position examinée à l’aune de l’attitude discriminatoire du maire de Chalon-sur-Saône mérite d’être relevée à plusieurs titres en raison de la confusion qu’elle entretient :

1- Les  « menus confessionnels » (halal, casher) ne représentent pas un problème actuellement, dans la mesure où ils n’existent pas en pratique à l’école publique (à une exception près : celle de Strasbourg où la ville assume un tel choix dans la mesure où la liberté de choix et l’égalité de traitement des élèves parviennent à être garanties).

2- Par « menus confessionnels », certains rédacteurs du présent texte comme Gilles Platret semblaient entendre « menu sans porc » et c’est au nom de cela que l’édile de Chalon-sur-Saône entendait mettre fin aux « menus de «substitution ». Il va sans dire qu’un « menu sans porc » ne représente pas une prescription rituelle en tant que telle, il n’est question que de soustraction d’un aliment.

3- Et d’ailleurs, l’ironie de l’histoire veut qu’après l’invocation dévoyée du principe de laïcité pour mettre fin aux repas de substitution, le texte de l’AMF préconise la diversification des menus à travers un ou plusieurs menus de substitution (en pratique, il s’agit essentiellement de menus végétariens).  Et voici, l’arroseur arrosé en la personne de Gilles Platret…

------ 9 août 2015 13h05 ------

où l'on apprend l'existence d'un recours gracieux suivi d'un recours en référé (suspension) contre la mesure en cause du maire de Chalon-sur-Saône 

http://www.info-chalon.com/articles/chalon-sur-saone/2015/07/29/15289-la-fin-du-menu-de-substitution-a-chalon-illegale-.html
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D’autres positions pourraient être évoquées à l’instar de celle tendant :

à proposer le port d’uniformes à l’école publique,



à promouvoir l’exemplarité laïque des sélections nationales,




[dans la première partie de l’extrait surligné, le texte de l’AMF prône l’interdiction de créneaux spécifiques pour l’utilisation d’équipements sportifs dans le cadre du fonctionnement normal su service public : il serait intéressant que le texte apporte des exemples concrets de villes à ce sujet]

ou encore à « civiliser » certaines cérémonies de mariage civil…





Restons-en là pour le moment. 

mercredi 17 juin 2015

A propos de l' « affaire » de la jupe longue



SOURCE: seenthis.net (29.04.2015)

Laïcité en contexte scolaire : Sur les jupes trop longues, les incantations creuses et les lois-circulaires...
Quelques observations regroupées et explicitées à propos de la dernière - mais non nouvelle ["problème" similaire s’étant déjà posé/ cf. affaire Sirine :http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do?oldAction=rechJuriAdmin&idTexte=CETATEXT000027201] - affaire de visibilité musulmane réelle ou supposée.
1- Concernant les faits et leur analyse intéressante par Jean Baubérot, on peut se référer à cet article [merci à @davidwe82686746]
2- Le sociologue et historien du fait religieux et des laïcités note, selon nous, assez justement que "l’école récolte ce qu’elle a semé". En effet, avec cette énième affaire de visibilité, on assiste à un "retour de bâton" ou un "effet boomerang" dû à un dévoiement permanent de l’exigence laïque ; ici dans le contexte particulier de l’enseignement public.
3- Faut-il en être étonné ? Non ! La loi du 15 mars 2004 [http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000417977&categorieLien=id] continue de produire toutes ses potentialités.
4- Cette loi sur le port ostensible de signes religieux (loi de police vestimentaire à l’origine) visait ainsi à mettre fin au « cas par cas », situation prévalant sous l’empire de l’avis du Conseil d’Etat du 27 novembre 1989 : http://arianeinternet.conseil-etat.fr/consiliaweb/avisadm/346893.pdf.
5- A l’examen in concreto assumé par les responsables éducatifs et doublé du contrôle du juge administratif, a succédé un contrôle...toujours in concreto [!], car en toute logique - et pour en finir avec ce juge qui se veut administrateur - la loi de 2004 s’est vue adjoindre une circulaire d’application, la circulaire dite Fillon, qui
propose une grille de distinction entre l’ostensible et le non ostensible : http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000252465 .

6- La loi pose ainsi d’un ton incantatoire une interdiction de principe dont la portée est faussement minorée par l’obligation d’un dialogue préalable [lol], et elle laisse ensuite à la circulaire le soin de régler les "garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques" [article 34, Constitution de 1958 http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexteArticle.do?idArticle=LEGIARTI000019241018&cidTexte=LEGITE ].
7- In fine, c’est toujours aux responsables éducatifs qu’il revient de faire le tri entre ce qui est possible et ce qui ne l’est pas...
8- Aussi, désormais le caractère non grata du foulard ne suffisant plus, on s’intéresse au comportement de l’élève - comportement qui transparaîtrait également à travers un accoutrement qui ne fait pas partie de l’énumération de la circulaire Fillon (ici, une#jupetroplongue).
9- On assiste ainsi à un retour à la doctrine de l’avis de 1989 du Conseil d’Etat amputée du principe libéral qui avait été affirmé à cette occasion.
10- La laïcité en contexte scolaire n’aurait jamais dû quitter ce lit.. A présent, à l’Education nationale d’assumer et d’expliciter ces errements, si elle ne parvient pas à contenir ladite loi de toute velléité de débordement.

appendices :


A propos de l' « affaire » de l’affiche publicitaire relatif à un « concert de soutien » aux chrétiens d’Orient

SOURCE: seenthis.net (04.04.2015)

Quelques brèves remarques partagées ici et là concernant l’ « affaire » de l’affiche publicitaire relatif à un « concert de soutien » organisé en faveur des chrétiens d’Orient

1- Au fond la décision de la régie publicitaire de la RATP pouvait aller aussi bien dans un sens (préservation de la mention « Concert pour les chrétiens d’Orient ») que dans l’autre (suppression de cette mention).

2- Et les 2 solutions peuvent être comprises : dans la 1ère hypothèse, il aurait été question de permettre la libre diffusion d’une annonce autour d’un événement culturel à coloration cultuelle, dans la 2nde hypothèse, le caractère cultuel de l’événement encouragerait l’encadrement de la diffusion du message publicitaire à cette occasion. Cette solution semble être motivée par la volonté de tenter de "prévenir" toute potentialité ou réalité de friction dans l’espace public du réseau métropolitain dont la RATP a la responsabilité de la gestion.

3- L’invocation du principe de laïcité par la régie a été maladroite : la régie publicitaire et la RATP ont fini par le reconnaître.

Il serait plus juste de parler de neutralité : obligation véhiculée par l’article 9 des conditions générales de vente de la régie publicitaire.
"Tout message publicitaire présentant un caractère politique, confessionnel ou dont le texte oul’illustration serait contraire aux bonnes mœurs ou préjudiciable à l’ordre public est prohibé. "



4- La réaction critique du professeur Rolin à l’égard de la restriction imposée au message publicitaire (http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1348579-les-chretiens-censures-par-la-ratp-au-nom-de-la-laicite-c-) est compréhensible dans la mesure où il y a potentiellement des dizaines voire des centaines d’affiches au contenu religieux ou politique sous-jacent... donc le tri risque d’être fastidieux à réaliser...

5- A cet égard, une telle restriction n’est pas nouvelle : le CCIF s’était vu également opposée une telle posture à une campagne publicitaire à l’origine de laquelle il était :


6- Il est savoureux de noter à l’occasion de cette affaire que parmi les personnes montant au créneau contre la décision de la RATP, on trouve un député PRG dont le parti est engagé pleinement dans le sens d’une extension législative sans cesse continue des exigences de laïcité/neutralité à différents espaces d’interactions sociales.


7- Finalement ce type de controverse sur l’application du principe de neutralité/laïcité peut nuire à la visibilité d’autres "affaires" autrement plus sensibles à l’instar des récentes propositions de loi mentionnées au point précédent et qui se traduisent par un consensus au rabais du point du vue du respect des libertés publiques.

8- ("bonus") Je pense qu’il serait intéressant de relire cette "affaire" à l’aune de la politique officielle du quai d’Orsay et de L. Fabius à l’endroit des chrétiens d’Orient effectivement persécutés, un positionnement politique qui peut être interrogé à la lumière justement du principe de laïcité de l’Etat.

http://t.co/li9HbnVqn3


appendices:


------ 8 septembre 2015 10h57 ------

Dans le contexte de la crise des réfugiés, certains élus émettent leur réticence, sinon leur refus a priori, d'accueillir des réfugiés autres que chrétiens ("chrétiens d'Orient" dans le cadre de la Syrie et de l'Irak).

Cette posture suscite de vives réprobations etc pour le principe discriminant sur lequel il repose (ici: un critère religieux). 

Ceci est compréhensible, toutefois il est bon de ne pas oublier que depuis l'intensification de la crise des réfugiés en Irak et en Syrie, nombreux ont été les acteurs politiques français à manquer d' "universalisme" dans leur approche d'une crise de cette ampleur touchant indistinctement des êtres humains d'une même région. Une telle posture est à même, selon nous, de contrevenir à l'esprit de la laïcité (dictant, rappelons-le, une conduite des affaires publiques de façon neutre et en traitant de façon égale tous/ cf. point "bonus" ci-dessus).   

Aussi il n'est, selon nous, pas étonnant qu'après de tels discours, certains maires ou autres acteurs publics viennent à promouvoir un traitement "prioritaire" ou "exclusiviste" des "chrétiens d'Orient". 







A propos de la PPL Laborde

AVERTISSEMENT: commentaire laissé sous l'article "Le port de signes religieux à l'Université : retour à l'analyse juridique" du professeur Letteron, ainsi que sur seenthis.net

Cher professeur,
Je me permets également de partager très brièvement quelques observations sur ce billet qui a attiré mon attention. Je ne reviens pas sur le fond de l’affaire, ma position étant proche des instances consultatives que sont la CNCDH, l’OdL, le CESE, ou encore le CE..

++ « cette obligation de neutralité ne s’imposera qu’aux établissements bénéficiant de financements publics » : or de nombreuses exonérations sont prévues… cette situation bancale est la résultante de la croyance dans ce que le financement public d’une structure imprimerait automatiquement sur celle-ci certaines des exigences qui sont celles du service public.

++ « Les parents conserveront donc, comme en matière d’enseignement, leur liberté de choix » : la PPL donc si elle venait à être adoptée encouragerait la création de structures communautaires ; je pense qu’il faut en être conscient et ne pas déplorer ensuite une dérive que l’on a pris pour habitude de qualifier d’ « anglo-saxonne »… cf. à cet égard, le processus qui a suivi l’adoption de la loi du 15 mars 2004.

++ « La laïcité consiste donc à faire passer la religion de la sphère publique à la sphère privée » : j’avais déjà fait une remarque dans ce sens dans mon précédent commentaire sur l’interdiction du voile à l’université, il faut selon moi veiller à ne pas se méprendre sur ce « passage de sphère ». Si la religion quitte la sphère étatique, ce n’est pas pour vivre exclusivement recluse dans l’intimité paisible des chaumières. La liberté de conscience dont une des implications est la liberté de croire ou de ne pas croire permet le libre exercice du culte. Et cet exercice a nécessairement un volet collectif ou public dans la mesure où les cultes rassemblent un collectif d’individus autour de pratiques, de rites ou encore d’échanges en tout genre. Par contre la puissance publique, elle, est, dans un Etat laïque, neutre et traite toutes les options philosophiques ou spirituelles de la même façon. C’est donc bien l’entité étatique qui doit être neutre et non les individus privés.

++ Sur les différentes réactions à cette PPL, je pense que si la CNCDH a parlé de risque de violation de la JP BabyLoup de l’AP de la Cour de cassation de juin 2014 c’est parce que cet arrêt a alors été présenté comme un arrêt d’espèce, insusceptible de généralisation. Et c’est au demeurant ce que vous semblez penser puisque vous préconisez que la solution alors énoncée par le juge soit élevée au rang de loi. Cette mention de l’arrêt de juin 2014 peut être maladroite, celle de la Convention européenne des droits de l’homme est, elle, plus compréhensible. Rappelons en la disposition pertinente :
--- Article 9 – Liberté de pensée, de conscience et de religion —
1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.
2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.



++ Aussi je ne comprends pas pourquoi vous évoquez l’arrêt SAS c/ France de juillet 2014 puisque cet arrêt n’était pas relatif au « voile simple » ou foulard islamique mais à la dissimulation intégrale du visage, c’est-à-dire au niqab.
Par ailleurs, il est intéressant de noter que la Cour a, dans ce même arrêt, tout en avalisant (1) le dispositif issu de la loi de 2010, fait remarquer à quel point le contexte d’élaboration de ladite loi a été marquée par un déversement de préjugés et de défiance à l’égard de certains pans de la société conduisant paradoxalement à un affaiblissement du « vivre-ensemble », notion-même qui a justifié l’interdiction ainsi posée…
(1) en pouvait-il être autrement sur un sujet aussi sensible dans le contexte d’une CEDH qui veiller très opportunément à faire preuve de retenue lorsque cela s’avère nécessaire ?
Bien respectueusement,




Selim Degirmenci

A propos des velléités d'interdiction du voile à l'Université

AVERTISSEMENT: commentaire laissé sous l'article "Le port de signes religieux à l'Université : retour à l'analyse juridique" du professeur Letteron, ainsi que sur seenthis.net


Cher professeur,
En tant que lecteur assidu et friand de votre blog, j’ai souhaité prendre le temps de vous livrer quelques réflexions sur le billet ci-dessus que je vous livre dans l’ordre du texte.
*Vous parlez de « courage » concernant les déclarations de P. Boistard, je parlerai davantage d’ « audace » du point de vue des risques de restriction sur les libertés publiques que fait peser un tel projet d’interdiction. Pourquoi pas « courage » ? Car l’observation de la dernière décennie suffit à illustrer à quel point certains signes religieux - et en particulier un (le foulard islamique) - sont déclarés signes non grata dans différents espaces d’interaction sociale.

*Sur le HCI, beaucoup de choses pourrait être dite : je me contenterai de vous soumettre ce texte du professeur Lochak sur les errements de cette autorité de conseil : http://www.gisti.org/spip.php?article2540
*Sur la légitimité du HCI à se prononcer jusqu’en 2012-2013 sur les questions de laïcité et le traitement couplé « laïcité » et « immigration » qui a été ainsi promu : http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/01/26/mettons-en-avant-les-libertes-laiques_1635079_3232.html
*Sur la position de J-L Salzmann, vous le savez déjà la CPU tient la même ligne de conduite (la liberté est la règle pour les étudiants-usagers du service public universitaire) depuis l’édiction de son guide laïcité au début des années 2000. Et J-L Salzmann ne fait que réaffirmer haut et fort ces mêmes principes en ne voulant pas succomber à un certain air du temps qui se veut de plus en plus prohibitif et discriminant.
Concernant l’affaire de l’IUT de St-Denis, les faits semblent plus complexes et sont d’ailleurs très propices à toutes sortes d’instrumentalisation. Tout le monde en a parlé mais personne ne connait le contenu exact et définitif du rapport de l’ IGEN. Concernant les menaces à l’endroit du directeur de l’IUT en question, pourquoi devraient-elles justifier des restrictions concernant l’exercice par des étudiantes de leur liberté de conscience ? Si menace il y a, le droit pénal est là à cette fin et c’est d’ailleurs, sauf erreur, le président Salzmann notamment qui a déposé plainte contre les agissements délictuels en question.

*Sur la reconstruction idéologique de la loi de 1905, je pense que celle-ci n’est pas dans le sens que vous pensez être… L’étude de cette loi qui est sans cesse invoquée mais que très rarement connue montre à quel point elle a visé la pacification de la société à travers le respect de la liberté de conscience (comprenant la liberté de religion ou d’autres options philosophiques ou spirituelles) et de l’égalité de traitement des citoyens. Pour arriver à ces 2 finalités, elle a eu recours aux principes de neutralité de la puissance publique et de séparation des Eglises et de l’Etat. La laïcité « faite loi » (Schrameck) à cette occasion est ainsi le résultat d’exigence tenant au pragmatisme et au libéralisme de grands hommes de loi à l’instar d’un Briand, d’un Jaurès ou encore d’un Pressensé. Je l’évoque rapidement ici : http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1299302-.html
*Sur le fait que le port du voile ou du foulard islamique est systématiquement réduit à un signe d’oppression et d’inégalité, je vous invite à lire les quelques lignes que j’ai pu écrire à ce sujet

Il n’est pas question d’occulter le fait que le foulard peut être imposée par coercition, mais faire de cette possibilité la seule clé de compréhension du port de ce vêtement par des femmes est une approche on ne peut plus réductrice et marquée de préjugés.

*Je crois que la réduction de la liberté de conscience que vous faites aux seules « opinion » ou « croyance » est fortement contestable et ne correspond pas au droit positif tant national qu’international. En effet, la liberté de conscience comprend également la possibilité d’un exercice public des convictions sous réserve du respect de l’ordre public… Les exemples en sont pléthore ( les processions et les sonneries n’ont ainsi pas été interdites par la loi de 1905 mais réglementées, comme vous le relevez d’ailleurs). C’est un dévoiement de la laïcité qui a été opéré ces dernières années que de vouloir restreindre la manifestation de convictions religieuses à la paisible intimité des chaumières.
*Sur la possibilité d’une interdiction à travers le règlement intérieur de l’Université de tous signes religieux, vous le savez, autonomie ou non, c’est un choix qui revient au législateur et uniquement à lui s’agissant de l’exercice de libertés fondamentales aux termes de l’article 34 de la Constitution.
*Enfin, pourquoi voir dans une mesure d’interdiction générale du voile une mesure de « courage » pour le Parlement ? Cette volonté n’est-elle pas au contraire le signe d’une défiance, d’une incertitude sur notre volonté ou notre capacité de vivre-ensemble ? Quel est le message qui est ainsi envoyé à des pans entiers de la société qui se sentent déjà assez discriminés (faciès, adresse, origine, couleur, religion) et notamment à des femmes qui viennent justement à l’Université pour se construire un avenir autonome ?
A cet égard, je me permets de relater ces quelques lignes rédigées par un avocat, Nicolas Gardères, dans une tribune au Monde paru il y a quelques jours à ce sujet :

« Je ne pense pas, en effet, que les jeunes femmes voilées sous contrainte patriarcale soient nombreuses à faire des études supérieures. Le droit d’aller à l’université, lieu de risque libertaire et de diffusion d’un savoir profane, paraît largement antithétique avec ce schéma. Or, c’est précisément parce que l’université est un lieu d’exercice extrêmement large, le plus large possible, des libertés individuelles que l’interdiction du port du voile y serait profondément scandaleuse » .
Respectueusement,
Selim Degirmenci