mercredi 12 août 2015

Ethique du journalisme : le devoir de rappel

Ces lignes sont inspirées par la récente mise en avant de deux "coups de gueule" de journalistes dans leurs médias respectifs, "coups de gueule" motivés par une semblable exaspération :



* Mercredi 5 août 2015, lors du traditionnel bulletin télévisé @tagesschau, la présentatrice de télévision Anja Reschke a dénoncé la banalisation des messages de haine sur Internet à travers le propos suivant: 


"Les prêcheurs de haine doivent comprendre que la société ne tolère pas de tels propos. Lorsque l’on ne partage pas l’avis selon lequel tous les réfugiés sont des parasites qui devraient être chassés, brûlés ou gazés, il faut le dire à haute voix. Il faut s'exprimer. Exposer sa conscience.
 La vidéo de l'extrait pertinent a fait l'objet d'une traduction sous-titrée par le Huffington Post :




* Mardi 11 août 2015, le journaliste Julien Vlassenbroek de la Radio Télévision Belge Francophone, après avoir commis un article intitulé "La Belgique face à un "afflux massif" de réfugiés? Réponse en chiffres", a publiquement exprimé sa réprobation à l'égard de commentaires publiés sous le post de la page Facebook de la RTBF qui partageait son article:

"Messieurs et mesdames les xénophobes, si vous voulez vomir votre haine d'autres humains, merci d'aller le faire ailleurs. Nous nous passerons avec joie de vos fulgurances abjectes. Cette page n'est pas un déversoir à haine de l'autre. Désolé à toutes celles et ceux qui lisent nos articles et postent des commentaires constructifs ou expriment leur avis avec un ton approprié. Ce message ne vous concerne en rien et vos avis, eux, nous intéressent au premier chef, quelle que soit leur teneur."

 Le "communiqué" du journaliste soutenu par sa rédaction est reproduit ici:
.


Alors certes, ces deux interventions de journaliste n'ont pas pour support un média identique (télévision, d'un côté; réseau social de l'autre), mais elles ont néanmoins pour cible des propos similaires - proférés notamment sur les réseaux publics sociaux - que l'on pourrait regrouper sous les appellations de "discours de haine" (1) ou de "préjugés"

La journaliste Anja Reschke souligne ainsi avec force le rôle singulier du journaliste tout particulièrement dans une conjoncture sociale où se mêlent difficultés économiques, angoisses sécuritaires, crises humanitaires et crises du politique...voire même crises du journalisme: un contexte propice à la montée en puissance d'idées xénophobes.    

"[...] le dire à haute voix. Il faut s'exprimer. Exposer sa conscience." 

Ce réflexe ou ce rappel déontique peut, selon nous, être attribué à une certaine exigence éthique, en partie propre à la profession de journaliste. 

Sans vouloir - ni pouvoir - disserter sur l'exigence éthique incombant au métier de journaliste, un texte pouvant servir de référence à ce sujet mérite d'être cité pour se faire une idée de la consistance d'une telle exigence. Il s'agit d'une résolution (n°1003) adoptée par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe en 1993 relative à l'éthique du journalisme.

Certains extraits pertinents peuvent en être cités: 


1. Outre les droits et les devoirs juridiques stipulés par les normes juridiques pertinentes, les médias assument, à l'égard des citoyens et de la société, une responsabilité morale qu'il faut souligner, particulièrement dans un moment où l'information et la communication ont une grande importance tant pour le développement de la personnalité des citoyens que pour l'évolution de la société et de la vie démocratique.  
3. Le principe de base de toute réflexion morale sur le journalisme doit partir d'une claire différenciation entre nouvelles et opinions, en évitant toute confusion. Les nouvelles sont des informations, des faits et des données, et les opinions sont l'expression de pensées, d'idées, de croyances ou de jugements de valeur par les médias, les éditeurs ou les journalistes. 
4. Les nouvelles doivent être diffusées en respectant le principe de véracité, après avoir fait l'objet des vérifications de rigueur, et doivent être exposées, décrites et présentées avec impartialité. Il ne faut pas confondre informations et rumeurs. Les titres et les énoncés d'informations doivent être l'expression le plus fidèle possible du contenu des faits et des données. 
5. L'expression d'opinions peut consister en réflexions ou commentaires sur des idées générales, ou se référer à des commentaires sur des informations en rapport avec des événements concrets. Mais, s'il est vrai que l'expression d'opinions est subjective et que l'on ne peut ni ne doit exiger la véracité, on peut exiger en revanche que l'expression d'opinions se fasse à partir d'exposés honnêtes et corrects du point de vue éthique. 

33. La société connaît parfois des situations de conflit et de tension nées sous la pression de facteurs tels que le terrorisme, la discrimination à l'encontre des minorités, la xénophobie ou la guerre. Dans ces circonstances, les médias ont l'obligation morale de défendre les valeurs de la démocratie: respect de la dignité humaine et recherche de solutions par des méthodes pacifiques et dans un esprit de tolérance. Ils doivent, par conséquent, s'opposer à la violence et au langage de la haine et de l'affrontement, en rejetant toute discrimination fondée sur la culture, le sexe ou la religion

36. Compte tenu de ce qui précède, les médias doivent s'engager à se soumettre à des principes déontologiques rigoureux garantissant la liberté d'expression et le droit fondamental des citoyens à recevoir des informations vraies et des opinions honnêtes.

Puissent les médias journalistiques garder à l'esprit - et faire vivre au besoin par de salutaires rappels publics - ces "principes éthiques" à l'occasion de l'exercice de leur profession.   



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(1) La distinction opérée à travers cette expression vise à suggérer que de tels discours sont pénalement répréhensibles. Lire à ce sujet et sur la difficulté d'appréhender stéréotypes et préjugés à travers le prisme des "discours de haine": Pascal Mbongo, « La justice, la liberté d’expression et les discours de haine »,libertesetdroitsfondalentaux.fr, 28 juillet 2015
[extrait] 
"Au sens du droit français, les « discours de haine » (4) peuvent s’entendre des discours (écrits, paroles, images, gestes, etc.) qui sont visés par plusieurs catégories d’infractions définies par la loi du 29 juillet 1881 : ‒ la diffamation publique commise envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, de leur sexe, de leur orientation ou identité sexuelle ou de leur handicap ; ‒ l’injure publique commise envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, de leur sexe, de leur orientation ou identité sexuelle ou de leur handicap ; ‒ la provocation publique à la discrimination, à la haine ou à la violence à raison de l’origine ou de l’appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ; ‒ la provocation publique à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation ou identité sexuelle ou de leur handicap ; ‒ la provocation aux discriminations prévues par les articles 225-2 et 432-7 du code pénal à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation ou identité sexuelle ou de leur handicap".










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