La polémique (1) de ce
week-end ?
Une affaire de « maillot de bain » ou de « bikini ».
Mais encore ?
Rapidement, une jeune fille/femme
vêtue d’un maillot de bain se serait
faite agressée de ce fait-même (port d’un bikini) par d’autres filles/femmes
dans un parc de la ville de Reims, et ce, sur de prétendus mobiles religieux ou
culturels. Selon les premières constations du parquet, il y aurait bien eu des
faits de violence en réunion mais aucune des motivations précitées ne seraient
en jeu, en l’espèce. Les faits et leur médiatisation sont bien résumés par David
Perrotin sur BuzzFeed.com, Pascale-Robert
Diard sur LeMonde.fr ou encore Dom
Bochel Guégan sur LePlus/NouvelObs. Une audience devant le tribunal
correctionnel est, quant à elle, déjà prévue le 24 septembre 2015.
Une instrumentalisation politique et médiatique problématique?
Nombre de médias et politiques
n’ont, en effet, pas tarder à s’emparer de la dite affaire et à alimenter en
trombe et toute en symphonie une lecture prématurée et toute orientée de l’altercation
en question. Un petit extrait à partir des 3 articles cités ci-dessus :
- passage à tabac par des « filles de quartiers » (Gilbert Collard)
- « néo-puritanisme » et « régression inacceptable »
(François de Rugy)
- « agression inacceptable [voulant imposer] un mode de vie qui n’est
pas le nôtre » (Eric Ciotti)
- « intolérable sur notre territoire » (Arnaud Binet, maire de Reims) avant de se raviser d’appeler
« au calme » et au déroulement serein de la justice
- «oui pour réaffirmer qu’on est à Reims comme ailleurs contre une
morale d’oppression qui réduit nos libertés ! (SOS Racisme), l’association sera à l’origine d’un hashtag de « soutien »
#JePorteMonMaillotAuParcLeo
- hashtag qui sera repris par Anne Sinclair qui, après avoir exprimé
ainsi sa « solidarité » en faisant une comparaison pour le moins ambiguë
avec l’histoire de la privatisation d’une plage au bénéfice du roi d’Arabie Saoudite (2), s’est aussi ravisée a elle aussi appelé
« au calme »
Inutile à ce stade de prolonger les citations… La volonté empressée d’imprimer
une coloration religieuse à un fait divers dont les circonstances ne sont
nullement éclaircies au moment de leur médiatisation initiale n’est pas
étonnante, lorsque l’on connaît la faculté de pré-jugements de certains acteurs politiques (3) ou encore l’on
déplore la carence d’institutions de presse en termes de « fact-checking » (4). Chacun de ces
acteurs peut avoir son agenda respectif : alimenter un discours idéologique
pour les uns ou augmenter une audience pour les autres. Aussi rien d’étonnant à
un tel emballement, de surcroît dans le contexte de crispations identitaires
exponentielles.
Ce qui peut « interpeller »
par contre, c’est l’appropriation d’une telle grille de lecture par une
autorité administrative chargée précisément d’une politique publique de lutte
contre les racismes.
L’appréhension des faits par le Délégué Interministériel à la Lutte Contre le Racisme et l’Antisémitisme : une lecture qui pose davantage question
Gilles Clavreul, préfet et délégué interministériel à la lutte
contre le racisme et l’antisémitisme, a réagi le jour-même des faits en
question par ces tweets :
Ainsi
que nous lui avons fait remarquer sur ce même média, celui-ci semble vouloir
suggérer une appréhension binaire de
faits également reprochables et en principe (également) répréhensibles lorsqu’
il est fait preuve d’une intolérance confinant à de la violence sur personne
physique pour le seul motif du port d’une tenue vestimentaire (ici, un bikini..
là, un foulard).
Suite
à ces tweets et face aux réprobations qui lui ont été adressées, M. Clavreul s’est
fendu d’un « communiqué
Facebook » dans lequel il
pratique l’art du semi-rétropédalage en déniant l’adhésion à une grille de
lecture qu’il a semblé pourtant promouvoir et en renvoyant sagement l’affaire
au temps judiciaire, tout ceci agrémenté d’une pointe de « mais au fond, j’ai quand même raison de relever que l’argument
culturaliste à connotation religieuse garde sa pertinence ».
Aussi dans cet emballement
politico-médiatique, ce n'est pas le principe même de celui-ci qui est le plus
étonnant ou inquiétant, à mon sens, mais c’est la reprise d’une telle
instrumentalisation à moitié assumé par
certaines autorités administratives chargées en théorie de décanter,
temporiser, vérifier et revérifier les faits et événements avant de diffuser une
parole publique, à l'instar de M. Clavreul (5).
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(2) « A Vallauris un roi
sera en maillot sur sa plage privatisée. A Reims, pas de femme en maillot dans
un parc public! #Jeportemonmaillotauparcleo
».
(3) Notamment lorsqu’il est
question de jouer sur des peurs, des hantises ou encore des sentiments de
rejet.
(4) Voir critiques de David
Perrotin à l’égard du journal de la PQR « L’Union » formulée dans son
article sur BuzzFeed.com.
(5) Sur l'approche discutable
de Gilles Clavreul de l'antiracisme comme politique publique, peut être lu un
portrait paru il y a quelques temps dans Libération : http://www.liberation.fr/societe/2015/04/16/gilles-clavreul-la-valse-antiraciste_1243400.