lundi 29 juin 2015

Baroin et les propositions de l’AMF « en faveur » de la laïcité : entre réaffirmations du droit positif et velléités de poursuivre la refonte du principe de laïcité


Mercredi 24 janvier, l’Association des Maires de France - sous la houlette de son président François Baroin - a publié des positions et propositions en faveur de la laïcité. Dans le contexte ambiant de brouhaha politique et médiatique autour du principe de laïcité, le commentaire d’un tel texte n’était pas forcément enthousiasmant et ce d’autant plus qu’un de ses instigateurs était Gilles Platret, maire de Chalon-sur-Saône, qui s’était vaillamment illustré par sa décision de mettre fin aux repas de substitution (c’est-à-dire a minima des repas sans porc et plus couramment des repas végétariens) en invoquant fallacieusement le principe de laïcité - nous y reviendrons brièvement.

Le texte débute sur un rappel pertinent : l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 et les articles 1 et 2 de la loi du 9 décembre 1905, deux sources normatives inévitables lorsqu’il est question de l’appréhension juridique du principe de laïcité.

Il poursuit par des considérations liminaires visant à rassurer le lecteur de la « bonne intention » du travail ainsi engagé :






Le texte continue en énumérant des positions et propositions dans différents domaines qui sont examinés successivement : associations, petite enfance, lieux de cultes, écoles, sports... A leur lecture, un rapide - mains néanmoins attentif - examen de celles-ci permet de voir qu’il n’y a là rien de très neuf par rapport à l’état du droit existant d’une part, et d’autre part, lorsque « nouveauté » il y a, c’est davantage pour entériner une conception dévoyée du principe de laïcité qui peut entrer en contrariété manifeste avec le respect de libertés fondamentales en étant étendu au-delà de sa stricte application à la puissance publique.  

La répétition de solutions d’ores et déjà reconnues et appliquées dans le droit positif

Il n’est pas question ici de réaliser un examen détaillé et exhaustif desdites positions et propositions, mais d’en scruter quelques-unes :

à Concernant le financement des associations :




A noter tout d’abord, un 1er point relatif à l’insertion de clause appelant au respect du principe de laïcité lors du traitement de demande de subventions, alors qu’il s’agit là d’une obligation déjà existante pour les collectivités publiques au même titre que l’obligation de bonne gestion des deniers publics etc.

Le 2nd point vise à garantir que les subventions ne soient pas utilisées à des fins étrangères à l’intérêt général local… or là aussi, pas de bouleversement du droit existant dans la mesure où les subventions sont en principe versées dès lorsqu’elles peuvent être justifiées par leur contribution à la réalisation d’un intérêt public local.

à Concernant la culture :



Il s’agit d’un simple rappel du droit émanant de la loi de 1905 et interprété par le Conseil d’Etat. Rien de neuf.

à Concernant les lieux de culte :

L’AMF prend acte des outils déjà existants permettant l’édification de lieux de culte avec le soutien plus ou moins affirmé de collectivités publiques (garantie d’emprunt, BEA…) et propose leur optimisation :




à Concernant la mise à disposition de salles communales :

L’AMF fait état de la position suivante feignant de voir des incohérences dans l’état du droit positif :



En effet, la solution du droit est déjà fixée dans ce cas de figure : le Conseil d’Etat n’admet pas la mise à disposition gracieuse de salles communales pour y entreprendre des activités cultuelles - hypothèse qui contreviendrait à l’interdiction de subventionnement des cultes prévue dans la loi de 1905 (interdiction qui connait de multiples réserves néanmoins).

Pour l’essentiel, la question du financement public plus ou moins direct d’infrastructures ou d’activités liées au culte fait l’objet d’une jurisprudence marquée par un effort de systématisation solennelle opérée par l’Assemblée du Conseil d’Etat dans cinq arrêts rendus le 19 juillet 2011 (pour un aperçu synthétique élaboré par la haute juridiction administrative : Dossiers-thematiques/Le-juge-administratif-et-l-expression-des-convictions-religieuses).

La volonté de poursuivre la refonte du principe de laïcité dans le sens d’une restriction accrue de libertés fondamentales


Une telle dynamique n’est pas étonnante pour deux séries de considération :
- d’une part, le dévoiement permanent que connaît le principe de laïcité, dont l’instrumentalisation politique et médiatique depuis une dizaine d’années conduit à en légitimer une vision autorisant de multiples restrictions à des libertés fondamentales,
- d’autre part, certains initiateurs du présent texte se sont illustrés par une compréhension toute particulière du principe de laïcité :
                  * Gilles Platret, par la pratique discriminatoire qu’a révélée sa décision de mettre fin aux repas de substitution dans les cantines de sa commune et l’invocation fallacieuse du principe de laïcité auquel il a eu recours pour justifier cette mesure
                * François Baroin, qui est connu comme le promoteur d’une certaine vision de la laïcité dont on entend de plus en plus parler : la « nouvelle laïcité » (du nom d’un rapport qu’il avait commis au début des années 2000) ou une laïcité « culturelle et identitaire » selon Jean Baubérot et qui peut entrer en contradiction avec les droits de l’homme.

Là encore, un coup d’œil rapide peut être jeté aux positions et propositions du texte de l’AMF:

à Concernant le personnel des crèches publiques et les assistantes maternelles :



Le texte préconise que l’obligation de neutralité incombant au personnel des crèches publiques - et sous certaines conditions à celui de crèches privées ainsi que l’a esquissé la jurisprudence Baby-Loup (Cass, AP, 25 juin 2014) - s’impose également aux assistantes maternelles, alors même qu’une récente proposition de loi ayant vocation justement à entériner la solution dégagée par la Cour de cassation dans l’affaire en question s’était résignée à supprimer une disposition similaire imposant une obligation de neutralité aux assistantes maternelles.  



à Concernant l’accompagnement des enfants de l’école publique lors de sorties scolaires :

Le texte reconnait que ce dossier ne relève pas de la compétence des communes, mais il préconise néanmoins ensuite que les sorties scolaires doivent se dérouler dans un « contexte général de laïcité » contrebalançant ensuite par la nécessité d’intégrer les parents au fonctionnement de l’école. Quid de ce « contexte général de laïcité » ?




Ce mouvement de balancier est également perceptible dans un entretien accordé par François Baroin au JDD le 28 juin 2015 à propos du texte de l’AMF lorsque son opinion est sollicitée sur l’interdiction du voile à l’Université (thème non-évoqué dans le texte de l’AMF).



Le président de l’AMF oscille ainsi entre 2 pôles - interdire ou ne pas interdire - synthétisé dans le schéma ci-dessous :   



à Concernant la diversification des menus dans la restauration scolaire publique:


Le texte de l’AMF rappelle le caractère facultatif de ce service public et affirme à cet égard le fait que ce sont les familles qui doivent d’adapter aux règles de l’école républicaine laïque et non l’inverse… Cette rhétorique est bien connue pour son intransigeance revendiquée et partagée comme marqueur identitaire, feignant de voir dans les processus d’institutionnalisation républicains une dynamique univoque alors même que les réalités historiques et quotidiennes ont laissé une large place aux échanges et à la concertation.
  



Le texte énonce ainsi que les « menus confessionnels » doivent être refusés et appellent à la mise en place de « menus de substitution ». Cette position examinée à l’aune de l’attitude discriminatoire du maire de Chalon-sur-Saône mérite d’être relevée à plusieurs titres en raison de la confusion qu’elle entretient :

1- Les  « menus confessionnels » (halal, casher) ne représentent pas un problème actuellement, dans la mesure où ils n’existent pas en pratique à l’école publique (à une exception près : celle de Strasbourg où la ville assume un tel choix dans la mesure où la liberté de choix et l’égalité de traitement des élèves parviennent à être garanties).

2- Par « menus confessionnels », certains rédacteurs du présent texte comme Gilles Platret semblaient entendre « menu sans porc » et c’est au nom de cela que l’édile de Chalon-sur-Saône entendait mettre fin aux « menus de «substitution ». Il va sans dire qu’un « menu sans porc » ne représente pas une prescription rituelle en tant que telle, il n’est question que de soustraction d’un aliment.

3- Et d’ailleurs, l’ironie de l’histoire veut qu’après l’invocation dévoyée du principe de laïcité pour mettre fin aux repas de substitution, le texte de l’AMF préconise la diversification des menus à travers un ou plusieurs menus de substitution (en pratique, il s’agit essentiellement de menus végétariens).  Et voici, l’arroseur arrosé en la personne de Gilles Platret…

------ 9 août 2015 13h05 ------

où l'on apprend l'existence d'un recours gracieux suivi d'un recours en référé (suspension) contre la mesure en cause du maire de Chalon-sur-Saône 

http://www.info-chalon.com/articles/chalon-sur-saone/2015/07/29/15289-la-fin-du-menu-de-substitution-a-chalon-illegale-.html
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D’autres positions pourraient être évoquées à l’instar de celle tendant :

à proposer le port d’uniformes à l’école publique,



à promouvoir l’exemplarité laïque des sélections nationales,




[dans la première partie de l’extrait surligné, le texte de l’AMF prône l’interdiction de créneaux spécifiques pour l’utilisation d’équipements sportifs dans le cadre du fonctionnement normal su service public : il serait intéressant que le texte apporte des exemples concrets de villes à ce sujet]

ou encore à « civiliser » certaines cérémonies de mariage civil…





Restons-en là pour le moment. 

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