Mercredi 24 janvier, l’Association
des Maires de France - sous la houlette de son président François Baroin - a publié
des positions
et propositions en faveur de la laïcité. Dans le contexte ambiant de brouhaha politique et médiatique autour
du principe de laïcité, le commentaire d’un tel texte n’était pas forcément
enthousiasmant et ce d’autant plus qu’un de ses instigateurs était Gilles
Platret, maire de Chalon-sur-Saône, qui s’était vaillamment illustré par sa
décision de mettre fin aux repas de substitution (c’est-à-dire a minima des repas sans porc et plus
couramment des repas végétariens) en invoquant fallacieusement le principe de
laïcité - nous y reviendrons brièvement.
Le texte débute sur un rappel pertinent :
l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 et les articles 1
et 2 de la loi du 9 décembre 1905, deux sources normatives inévitables lorsqu’il
est question de l’appréhension juridique du principe de laïcité.
Il poursuit par des
considérations liminaires visant à rassurer le lecteur de la « bonne
intention » du travail ainsi engagé :
Le texte continue en énumérant
des positions et propositions dans
différents domaines qui sont examinés successivement : associations,
petite enfance, lieux de cultes, écoles, sports... A leur lecture, un rapide - mains
néanmoins attentif - examen de celles-ci permet de voir qu’il n’y a là rien de
très neuf par rapport à l’état du droit existant d’une part, et d’autre part,
lorsque « nouveauté » il y a, c’est davantage pour entériner une
conception dévoyée du principe de laïcité qui peut entrer en contrariété
manifeste avec le respect de libertés fondamentales en étant étendu au-delà de sa
stricte application à la puissance publique.
La répétition de
solutions d’ores et déjà reconnues et appliquées dans le droit positif
Il n’est pas question ici de
réaliser un examen détaillé et exhaustif desdites positions et propositions, mais
d’en scruter quelques-unes :
à Concernant
le financement des associations :
A noter tout d’abord, un 1er
point relatif à l’insertion de clause appelant au respect du principe de
laïcité lors du traitement de demande de subventions, alors qu’il s’agit là d’une
obligation déjà existante pour les collectivités publiques au même titre que l’obligation
de bonne gestion des deniers publics etc.
Le 2nd point vise à garantir
que les subventions ne soient pas utilisées à des fins étrangères à l’intérêt
général local… or là aussi, pas de bouleversement du droit existant dans la
mesure où les subventions sont en principe versées dès lorsqu’elles peuvent
être justifiées par leur contribution à la réalisation d’un intérêt public
local.
à
Concernant la culture :
Il s’agit d’un simple rappel
du droit émanant de la loi de 1905 et interprété par le Conseil d’Etat. Rien de
neuf.
à
Concernant les lieux de culte :
L’AMF prend acte des outils déjà
existants permettant l’édification de lieux de culte avec le soutien plus ou
moins affirmé de collectivités publiques (garantie d’emprunt, BEA…) et propose
leur optimisation :
Le texte ne fait là que
reprendre des préconisations de travaux récents à l’instar du rapport
Machelon de 2006 ou du rapport rendu
en mars 2015 par une mission du Sénat concernant les collectivités
territoriales et le financement des lieux de culte.
à
Concernant la mise à disposition de salles communales :
L’AMF fait état de la position
suivante feignant de voir des incohérences dans l’état du droit positif :
En effet, la solution du droit
est déjà fixée dans ce cas de figure : le Conseil d’Etat n’admet pas la
mise à disposition gracieuse de salles communales pour y entreprendre des
activités cultuelles - hypothèse qui contreviendrait à l’interdiction de
subventionnement des cultes prévue dans la loi de 1905 (interdiction qui connait
de multiples réserves néanmoins).
Pour l’essentiel, la question du financement public plus ou moins
direct d’infrastructures ou d’activités liées au culte fait l’objet d’une
jurisprudence marquée par un effort de systématisation solennelle opérée par
l’Assemblée du Conseil d’Etat dans cinq arrêts rendus le 19 juillet 2011 (pour
un aperçu synthétique élaboré par la haute juridiction administrative : Dossiers-thematiques/Le-juge-administratif-et-l-expression-des-convictions-religieuses).
|
La volonté de
poursuivre la refonte du principe de laïcité dans le sens d’une restriction accrue
de libertés fondamentales
Une telle dynamique n’est
pas étonnante pour deux séries de considération :
- d’une part, le dévoiement permanent que connaît le principe de
laïcité, dont l’instrumentalisation politique et médiatique depuis une
dizaine d’années conduit à en légitimer une vision autorisant de multiples
restrictions à des libertés fondamentales,
- d’autre part, certains
initiateurs du présent texte se sont illustrés par une compréhension toute
particulière du principe de laïcité :
* Gilles Platret, par la pratique discriminatoire qu’a révélée
sa décision de mettre fin aux repas de substitution dans les cantines de sa
commune et l’invocation fallacieuse du
principe de laïcité auquel il a eu recours pour justifier cette mesure
* François Baroin, qui est
connu comme le promoteur d’une certaine vision de la laïcité dont on entend
de plus en plus parler : la « nouvelle
laïcité » (du nom d’un rapport qu’il avait commis au début des années
2000) ou une laïcité « culturelle et identitaire » selon Jean
Baubérot et qui peut entrer en contradiction avec les droits de l’homme.
|
Là encore, un coup d’œil rapide
peut être jeté aux positions et propositions du texte de l’AMF:
à
Concernant le personnel des crèches publiques et les assistantes maternelles :
Le texte préconise que l’obligation
de neutralité incombant au personnel des crèches publiques - et sous certaines
conditions à celui de crèches privées ainsi que l’a esquissé la jurisprudence
Baby-Loup (Cass, AP, 25 juin 2014) - s’impose également aux assistantes
maternelles, alors même qu’une
récente proposition de loi ayant vocation justement à entériner la solution
dégagée par la Cour de cassation dans l’affaire en question s’était résignée à
supprimer une disposition similaire imposant une obligation de neutralité aux
assistantes maternelles.
à
Concernant l’accompagnement des enfants de l’école publique lors de sorties scolaires
:
Le texte reconnait que ce
dossier ne relève pas de la compétence des communes, mais il préconise néanmoins
ensuite que les sorties scolaires doivent se dérouler dans un « contexte
général de laïcité » contrebalançant ensuite par la nécessité d’intégrer
les parents au fonctionnement de l’école. Quid de ce « contexte général de
laïcité » ?
Ce mouvement de balancier est
également perceptible dans un
entretien accordé par François Baroin au JDD le 28 juin 2015 à propos
du texte de l’AMF lorsque son opinion est sollicitée sur l’interdiction du
voile à l’Université (thème non-évoqué dans le texte de l’AMF).
Le président de l’AMF oscille ainsi
entre 2 pôles - interdire ou ne pas interdire - synthétisé dans le schéma
ci-dessous :
à
Concernant la diversification des menus dans la restauration scolaire publique:
Le texte de l’AMF rappelle le
caractère facultatif de ce service public et affirme à cet égard le fait que ce
sont les familles qui doivent d’adapter aux règles de l’école républicaine
laïque et non l’inverse… Cette rhétorique est bien connue pour son
intransigeance revendiquée et partagée comme marqueur identitaire, feignant de
voir dans les processus d’institutionnalisation républicains une dynamique
univoque alors même que les réalités historiques et quotidiennes ont laissé une
large place aux échanges et à la concertation.
Le texte énonce ainsi que les « menus
confessionnels » doivent être refusés et appellent à la mise en place de « menus
de substitution ». Cette position examinée à l’aune de l’attitude
discriminatoire du maire de Chalon-sur-Saône mérite d’être relevée à plusieurs
titres en raison de la confusion qu’elle entretient :
1- Les « menus confessionnels » (halal, casher) ne représentent pas un problème actuellement, dans la mesure où ils n’existent pas en pratique à l’école publique (à une exception près : celle de Strasbourg où la ville assume un tel choix dans la mesure où la liberté de choix et l’égalité de traitement des élèves parviennent à être garanties).
2- Par « menus confessionnels », certains
rédacteurs du présent texte comme Gilles Platret semblaient entendre « menu
sans porc » et c’est au nom de cela que l’édile de Chalon-sur-Saône
entendait mettre fin aux « menus de «substitution ». Il va sans dire
qu’un « menu sans porc » ne représente pas une prescription rituelle
en tant que telle, il n’est question que de soustraction d’un aliment.
3- Et d’ailleurs, l’ironie de l’histoire veut qu’après l’invocation dévoyée du principe de laïcité pour mettre fin aux repas de substitution, le texte de l’AMF préconise la diversification des menus à travers un ou plusieurs menus de substitution (en pratique, il s’agit essentiellement de menus végétariens). Et voici, l’arroseur arrosé en la personne de Gilles Platret…
------ 9 août 2015 13h05 ------
où l'on apprend l'existence d'un recours gracieux suivi d'un recours en référé (suspension) contre la mesure en cause du maire de Chalon-sur-Saône
http://www.info-chalon.com/articles/chalon-sur-saone/2015/07/29/15289-la-fin-du-menu-de-substitution-a-chalon-illegale-.html
---------------------------------------------
D’autres positions pourraient
être évoquées à l’instar de celle tendant :
à proposer le port d’uniformes
à l’école publique,
à promouvoir l’exemplarité
laïque des sélections nationales,
[dans la
première partie de l’extrait surligné, le texte de l’AMF prône l’interdiction
de créneaux spécifiques pour l’utilisation d’équipements sportifs dans le
cadre du fonctionnement normal su service public : il serait intéressant
que le texte apporte des exemples concrets de villes à ce sujet]
|
ou encore à « civiliser »
certaines cérémonies de mariage civil…
Restons-en là pour le moment.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire