jeudi 31 décembre 2015

Déchéance de nationalité post-13/11 ou convergence nationale: l'heure d'un choix



Ce billet ne se veut pas une répétition des tribunes qui se sont succédées ici et là ces derniers jours pour dénoncer une mesure relative à un élargissement des possibilités de déchéance de la nationalité française, mais davantage un recueil de certains extraits de ces contributions.

Et ceci, pour souligner à quel point non seulement une telle mesure est à l’opposé de toute idée de cohésion nationale et sociale, mais aussi et surtout que la formulation même de la parole publique - celle d’hommes et de femmes d’Etat - dans de tels termes mine profondément  tout espoir de convergence nationale.  
Le projet de réforme consistant en une extension des possibilités de déchéance de la nationalité




Article 2
L’article 34 de la Constitution est ainsi modifié :
1° Le troisième alinéa est remplacé par les dispositions suivantes :
« – la nationalité, y compris les conditions dans lesquelles une personne née française qui détient une autre nationalité peut être déchue de la nationalité française lorsqu’elle est condamnée pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la Nation ; »



Le droit actuel : entre une « perte » de nationalité tombée en désuétude et un recours exceptionnel à la « déchéance » de la nationalité

Ci-dessus un petit tableau comparatif des dispositions qui constituent d’ores et déjà notre droit en matière de possibilité administrative de mise à l’écart unilatérale d’individus de la communauté nationale, et ce pour des motifs tirés d’un défaut de loyalisme de ceux-ci:

*comportement reproché
*réserve relative à l’interdiction de l’apatridie
*conditions
Le Français qui se comporte en fait comme le national d'un pays étranger (1) peut, s'il a la nationalité de ce pays, être déclaré, par décret après avis conforme du Conseil d'Etat, avoir perdu la qualité de Français.













art. 25 : L'individu qui a acquis la qualité de Français peut, par décret pris après avis conforme du Conseil d'Etat, être déchu de la nationalité française, sauf si la déchéance a pour résultat de le rendre apatride :
S'il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme ;
S'il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit prévu et réprimé par le chapitre II du titre III du livre IV du code pénal ;
S'il est condamné pour s'être soustrait aux obligations résultant pour lui du code du service national ;
S'il s'est livré au profit d'un Etat étranger à des actes incompatibles avec la qualité de Français et préjudiciables aux intérêts de la France.
art. 25-1 : La déchéance n'est encourue que si les faits reprochés à l'intéressé et visés à l'article 25 se sont produits antérieurement à l'acquisition de la nationalité française ou dans le délai de dix ans à compter de la date de cette acquisition.
Elle ne peut être prononcée que dans le délai de dix ans à compter de la perpétration desdits faits.
Si les faits reprochés à l'intéressé sont visés au 1° de l'article 25, les délais mentionnés aux deux alinéas précédents sont portés à quinze ans.


Les points communs à ces deux formes modernes d’ «ostracisation » de la Nation sont principalement les suivants:
   *Il est à chaque fois question de sanctionner un défaut de loyalisme plus ou moins grave ;
   *Des conditions tant matérielles que procédurales  sont imposées : une des plus importantes étant celle relative à l’avis conforme du Conseil d’Etat, puisque ce dernier peut s’opposer à toute mesure de retrait arbitraire ;
   *Une autre condition importante réside dans l’interdiction formelle de l’apatridie.  

Quant aux différences, elles résident essentiellement dans :
   *La nécessité le plus souvent d’une condamnation ayant l’autorité de la chose jugée préalablement au prononcé d'une mesure de « déchéance » même si en l’occurrence une déchéance peut également intervenir en dehors de toute condamnation (4° de l’art. 25 C. civ.);  
    *Le fait que la « perte » soit tombée en désuétude ainsi que l’illustre une récente question parlementaire posée à ce sujet, contrairement à la « déchéance » qui est une disposition à laquelle  les autorités ont toujours recours, même si cela reste assez exceptionnel.  >> voir les 5 ordonnances du Conseil d’Etat en date du 20 novembre 2015, dans lesquelles celui-ci a rejeté les demandes de suspension de cinq décrets portant déchéance de nationalité de personnes condamnées pour actes de terrorisme;
   * Le fait que la « déchéance » n’a vocation à s’appliquer qu’à des personnes devenues Français, des Français par acquisition, tandis que la « perte » trouve à s’appliquer aussi bien à des Français par acquisition que des Français par attribution (sur cette distinction, se référer par exemple au lien @viepubliquefr).


Les motifs d’opposition à une telle mesure

Les principales données normatives étant posées, il peut être passé à l’exposition des motifs d’opposition à une telle mesure qui s’expriment avec force dans la cadre d’un débat public foisonnant, passionné et quelques fois, même, passionnant - qui a aussi le mérite de poser la question de savoir ce qu’être Français aujourd’hui au terme d’une année 2015 particulièrement tragique pour notre pays.



>> Les interrogations d’un binational à l’attention de François Hollande 




#alignement.idéologique     #inefficacité.répressive   #tenir.des.promesses.ah.bon?   #binationalité.dites.vous?

« Qu’essayez-vous de faire croire au peuple français ? Que cette mesure permettra de les protéger du terrorisme aveugle qui touche notre pays comme tant d’autres ? Non, je ne le crois pas. Certains de mes amis tentent de me convaincre de la nécessité tactique d’annoncer cette mesure au lendemain du dernier scrutin avant la présidentielle. Peut-on sacrifier nos valeurs fondamentales sur des simples motifs de stratégie politique ? Non, je ne le crois pas. Vous annoncez vouloir tenir votre parole faite au lendemain des attentats mais combien de fois n’avez-vous pas tenu parole aux Français depuis votre élection de 2012 ? Et puis, quels binationaux sont réellement visés par cette mesure ? L’islamisme radical n’est pas une nationalité à ma connaissance et je ne connais pas de personnes détentrices d’un passeport franco-terroriste. »


PS : sur la question de l’efficacité d’une telle mesure, a été, en outre, mis en exergue l’argument selon lequel les « pays d’origines » des personnes visées ne les accepteraient de plein cœur et pourraient - profitant du délai nécessaire à la mise en œuvre d’une procédure de déchéance - déchoir préventivement les personnes en cause et ainsi laisser l’ « Etat d’accueil » dans l’obligation de garder son ressortissant sur le territoire national.



>> L'emballement « droitisant » hérité de l'ère Sarkozy, et la course après devant le FN



#xénophobie        #nation      #loyauté      #fantasme       #suspicion      #guerre.civile

« Il accrédite le préjugé xénophobe selon lequel nos malheurs viendraient de la part étrangère de notre peuple. Il sème l’illusion identitaire d’une nation qui se renforcerait et se protègerait en excluant l’allogène. Il diffuse l’aveuglement nationaliste d’un pays refusant de s’interroger sur lui même, sa politique sociale ou sa politique étrangère, en affirmant à la face du monde qu’il ne saurait y avoir de terroristes autochtones et que d’autres nations, celles qui pourraient les accueillir alors même qu’ils n’y ont jamais vécu, en produisent, par héritage barbare, par identité culturelle, par religion dominante.
[…]
Quand elle est ainsi élargie et renforcée, la déchéance nationale devient une pathologie du droit de la nationalité : elle ouvre une brèche dans laquelle peuvent s’engouffrer les fantasmes de communauté nationale épurée, avec des hiérarchies de loyauté. En visant explicitement des citoyens nés Français, et non pas des personnes nées étrangères ayant ensuite acquis la nationalité française, qui plus est des Français n’ayant aucun lien de citoyenneté avec le pays dont ils ont l’autre nationalité par héritage familial, le projet de loi constitutionnelle ouvre grand la porte aux pires arrière-pensées : sous la binationalité, c’est l’origine qui est disqualifiée, qu’elle soit culturelle, ethnique ou religieuse.

[…]
Quelles que soient ses suites concrètes, cette transgression politique libère une violence qui n'est pas seulement symbolique. Le pacte social qui soude une nation autour d’un peuple souverain, communauté d’hommes libres assemblés librement, est rompu depuis le sommet de l’Etat. Un discours de guerre civile, agressant une partie de la population, toujours la même, celle qui est venue d’Afrique ou du Maghreb et où la binationalité est fréquente, tient lieu non seulement de parole officielle, mais désormais de projet constitutionnel. On aurait tort de se rassurer en pensant qu'il ne s’agit là que de gesticulations démagogiques : ces mots produisent forcément des actes, tant cette hystérie verbale est un appel à la violence. En ce sens, le crime contre la République se double d'une provocation contre la Nation, son unité et sa concorde.
[…]
Rosanvallon estimait alors que « la forme la plus caricaturale et révoltante de ce sarkozysme, c’est l’union nationale négative. C’est la tentative de construire du consensus par les formulations les plus archaïques de la xénophobie ».



#original.préféré.à.la.copie       #défaîte.hollande      #vote.utile.vraiment?     #barrage.dîtes.vous?         #2017

« En effet, quand les socialistes imitent la droite, qui imite l’extrême droite, comme Jean-Marie Le Pen l’a toujours dit, les électeurs préfèrent l’original à la copie.
[…]
Une mesure comme la déchéance de nationalité ne saurait donc être taxée d’électoralisme, dès lors qu’elle pourrait contribuer à la défaite de la majorité en 2017. Ainsi, François Hollande semble entraîner le Parti socialiste dans un suicide politique.
[…]
Reste alors à savoir quel scénario nous effraie le moins. D’un côté, à force de courir après l’extrême droite, on lui ouvre les portes du pouvoir. De l’autre, c’est l’extrême droitisation des gouvernants socialistes qui nous sauverait du Front national. Nous tremblons bien sûr de le voir arriver demain au gouvernement ; mais redoutons-nous assez ce qui se passe dès aujourd’hui, alors même que les Socialistes tiennent les rênes du pays ? Sans doute ceux-ci se flattent-ils d’être plus républicains que leurs concurrents d’extrême droite, voire de droite.

Mais à quel prix démocratique payons-nous cette mascarade de République ? Au moins, en cas de victoire du Front national, pourrait-on escompter une forte mobilisation contre toutes les dérives – comme hier contre celles de Nicolas Sarkozy. En revanche, quand le Parti socialiste est aux affaires, la gauche semble réduite au silence, et avec elle la société civile. On croyait sauver la République ; on découvre qu’on met en péril la démocratie.
[…]
le « vote utile » s’est métamorphosé en vote dangereux. »







>> Qui est visé par une telle mesure ? Qui fait partie de la famille nationale ? Qui se sent faire partie de cette famille ?





#sentiment.appartenance.nationale            #rupture.égalité           #catégorisation

« Vous avez décidé sciemment de créer deux catégories de Français.
Les premiers seront les Français incontestables, ceux qui, s’ils commettent des actes terroristes seront jugés et condamnés comme ils le méritent. Ceux­là, ce sont les enfants légitimes de la France. Même s’ils la trahissent, ils ne seront jamais reniés.

Les seconds seront les Français contestables, les Français en régime probatoire, les pas vraiment Français. Ceux­là, s’ils commettent des actes terroristes seront également jugés et condamnés comme ils le méritent. Mais, en plus, ils seront déchus de leur nationalité et « cela même s’il[s] [sont] né[s] français » même s’ils ont été scolarisés et socialisés en France. Bref, même s’ils sont un pur produit de la France.

En revanche, beaucoup d’autres, des millions d’autres, se soucient de savoir s’ils font toujours pleinement partie de la nation, de la famille au moment où elle est durement frappée.
Ils voient dans cette catégorisation une rupture d’égalité dans le régime de la nationalité qui remet en cause leur appartenance à la nation. Aujourd’hui, ils se sentent abandonnés. »




>> Les errements de la gauche de gouvernement pointés sans ambages





« A l'incompétence économique, voici que le gouvernement ajoute l'infamie. Non content de s'être trompé sur toute la ligne sur ses choix de politique économique depuis 2012, avec à la clé la montée du chômage et de la xénophobie, voici que le gouvernement se met à courir derrière le Front national, en imposant une mesure de déchéance de la nationalité que la gauche a toujours combattue, et en créant une inégalité insupportable et stigmatisante - en plus d'être totalement inutile et inefficace dans la lutte contre le terrorisme - pour des millions de Français nés en France, dont le seul tort est d'avoir acquis au cours de leur vie une seconde nationalité pour des raisons familiales.»





>> Contrainte européenne et citoyenneté à 2 niveaux 




#déchéance     #expulsion   #CEDH    #constitutionnalisation     #stigmatisation    #citoyenneté.à.2.étages       #divisibilité.peuple

« D’une part, la déchéance, tout comme la perte de nationalité prévue par notre code civil, épargne les terroristes franco¬français. D’autre part, si l’objectif est d’expulser du territoire français ceux qui deviendraient alors parfaitement étrangers, les autorités restent contraintes par leurs engagements internationaux relatifs aux droits fondamentaux. A tout le moins, en effet, la Cour européenne des droits de l’homme, comme d’autres organes internationaux, interdit d’expulser des étrangers même condamnés pour terrorisme vers tout État, y compris le leur, où ils risquent d’être soumis à des actes de torture et traitements inhumains ou dégradants.


Au bout du compte, en constitutionnalisant la déchéance de nationalité pour certains Français, cette réforme n’a donc que l’effet symbolique de faire apparaître dans la Constitution deux catégories de Français en stigmatisant ceux qui possèdent, pour des raisons tenant en partie à la colonisation, une autre nationalité, et qui seraient seuls visés par une sanction qui en contrepoint glorifierait l’identité nationale. Et si on reconnaît qu’il y a deux catégories de Français, c’est bien que le peuple français n’est plus un et indivisible, encore un mythe républicain qui passe à l’as »






>> Confrontation du projet constitutionnel à l’actuelle législation à la lumière de l’argument tenant à une avancée de l’égalité



Le professeur Fulchiron remet ici en question l’assertion selon laquelle un tel élargissement serait porteur d’une plus grande égalité.

#égalité.ou.discrimination #sentiment.appartenance.affaiblie 

« Mais ce qui est nécessaire et proportionné pour une nationalité nouvellement acquise (puisque les faits pris en compte doivent avoir été commis, avant ou après cette acquisition, pendant un délai strictement défini par la loi, cf. C. civ., art. 25-1), le serait-il encore si la sanction était étendue aux Français de naissance, alors que la nationalité française constitue leur nationalité effective (celle sous l'empire de laquelle ils ont toujours vécu), et que les conditions de délais tomberaient nécessairement ? De fait, puisque l'on ne raisonne plus à partir d'une date d'acquisition déterminée, c'est pour un acte commis à n'importe quel moment de sa vie qu'un Français de naissance pourrait être déchu de sa nationalité. Or, même si dans ses décisions de 1996 et de 2015, le Conseil lit les délais de commission de l'infraction à la lumière du principe d'égalité entre Français de naissance et Français par acquisition, ce cadre temporel n'a pas pour seule fonction de garantir l'égalité : il est aussi une condition de la proportionnalité de la mesure. Au delà d'un certain temps, et quelle que soit l'atrocité des crimes perpétrés, c'est un Français qui les a commis. Reste, diront certains, qu'en étendant la mesure aux Français de naissance, on place tous les Français devant leurs responsabilités : est ainsi affirmé le principe, fondamental, d'égalité entre Français de naissance et « nouveaux » français.
[…]

Dans sa décision de 1996 comme dans sa décision de 2015, le Conseil constitutionnel rappelle que « les personnes ayant acquis la nationalité française et celles auxquelles la nationalité française a été attribuée à leur naissance sont dans la même situation ». Il s'agit là d'un principe essentiel, gagné sur des siècles de discriminations : il n'y a pas de citoyens de seconde zone, il n'y a pas de Français « à l'essai »
[…]

En réalité, il s'agirait là d'un usage faussé du principe d'égalité. Ne voit-on pas en effet qu'au nom de l'égalité on crée de nouvelles discriminations ? Quelles sont en effet les personnes susceptibles d'être touchées par cette mesure ? Ce sont par définition des doubles nationaux puisque l'on ne peut rendre quelqu'un apatride. Or qui sont ces doubles nationaux ? Essentiellement, les Français de la deuxième et de la troisième génération, notamment, dans l'imaginaire collectif, les enfants de parents ou de grands-parents venus du Maghreb. Ils sont Français de naissance par le jeu du double jus soli ou, pour la troisième ou quatrième génération, jure sanguinis ; ils sont doubles nationaux car la nationalité de leur père ou de leur mère leur est transmise automatiquement en vertu du droit étranger et ils ne peuvent renoncer à cette nationalité pour des raisons à la fois symboliques (ce sont leurs racines) et juridiques (le droit étranger ne le permet pas toujours). Sous prétexte d'égalité abstraite, on crée donc des discriminations réelles entre Français « de souche », qui n'ont qu'une nationalité et qui resteront donc à l'abri d'une mesure de déchéance, et les Français descendants de familles immigrées, qui pourraient voir leur qualité de Français remise en question. Certes, il est juste qu'une société se défende contre ceux qui veulent la détruire ; Il n'empêche ; cette prétendue mesure égalitaire envoie un message désastreux aux Français issus de l'immigration : leur nationalité française est juridiquement et symboliquement « fragilisée ».



>> Principe fondamental reconnu par les lois de la République : oui ou non ?!

Le Conseil d’Etat a laissé entendre dans son avis cité en début de billet - d’une manière certes très prudente -  que la constitutionnalisation serait nécessaire en raison de l’existence d’un Principe fondamental reconnu par les lois de la République relatif à l’absence de possibilité de déchéance de nationalité pour une personne née française même si elle possède une autre nationalité. Ce type de principe ayant une valeur constitutionnelle, une révision serait nécessaire pour franchir l’obstacle qu’il constitue – mais quid alors du caractère « fondamentalement républicain » du principe ?

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(1) L'historien Patrick Weil préconise par exemple une modification de l'article 23-7 du Code civil pour substituer à la notion de "national d'un pays étranger" une autre expression à même d'englober des individus enrôlés dans des organisations armées ne pouvant se prévaloir de la qualité étatique.


appendices:

-------- 07/01/2016



jeudi 15 octobre 2015

Méta-décryptage. A propos de l’émission « Grand Décryptage » du 14 octobre 2015 relative à « l'affaire de l'IUT de St-Denis ».


Venant de visionner l’émission « Grand Décryptage » d' Olivier Galzi en date du 14 octobre 2015 et intitulée « Communautarisme : le combat du directeur de l'IUT de Saint-Denis », je ne peux que déplorerconstater que l'émission est très loin d'atteindre l'objectif qu’elle se fixe dans son intitulé à tel point que d’aucuns pourraient y voir davantage un « Grand Enfumage » qu’un travail de réelle analyse et de compréhension.





Et pour cause, les faits portent sur une série de dysfonctionnements touchant l’IUT de Saint-Denis, incidents dont la dernière séquence a été l’agression du directeur de l’IUT Samuel Mayol, vendredi 9 octobre 2015.

Suivant cette « affaire » depuis quelques temps notamment en raison de la présentation médiatique qui en est faite (exclusivement axée sur un problème de communautarisme et de laïcité), l’émission citée a permis de fournir une illustration éclatante:

- d’une part, de la carence manifeste du travail journalistique d’explicitation des différents aspects de cette affaire, nous y reviendrons (I);

- d’autre part, du manque d’impartialité et d’équilibre dans la tenue des débats notamment du fait de la posture du présentateur Olivier Galzi (II).

Tandis que la question de la protection de l'intégrité physique de Samuel Mayol et des investigations menées à cet égard a, elle, été peu abordée (III).




I. LE MANQUE D’EXPLICITATION DES DIFFERENTES FACETTES DU DOSSIER « IUT ST-DENIS »


En effet, pour toutes les personnes qui suivent cette affaire de l’extérieur comme moi sans connaissance approfondie du dossier, il faut reconnaître que celle-ci est pour le moins difficile à appréhender car elle a trait à différents éléments litigieux concernant un seul et même établissement : l’IUT de Saint-Denis. Quel sont-ils ? Rapidement, il serait question :

-de détournements de fonds publics destinés à la rémunération d’enseignants de cet IUT ;
-de relations houleuses de l'IUT avec une association étudiante du fait de ses activités prétendument prosélytes ou à coloration culturelle et notamment de l’occupation d’un local de l’IUT ;
-de menaces réitérées ainsi que de 2 agressions à l’encontre du directeur de l’IUT.

Ces faits ont notamment fait l’objet d’un récent rapport  de l’IGAENR (1). 

--> De ces 3 points, c’est essentiellement le dernier qui retiendra notre attention en raison notamment de sa gravité, les 2 premiers points étant plus "techniques" (vérification de la matérialité des faits, procédure disciplinaire).

--> Ainsi il peut être constaté que bien que  l’affaire de l’IUT de Saint-Denis semble avoir plusieurs facettes, la présentation médiatique de cette affaire ne se fait exclusivement que sous un seul et même angle : avec des mots-balises tels que « laïcité » (en péril) ou encore « communautarisme » :


capture d’un tweet annonçant l’émission





capture du bandeau de l’émission qui sera 
le même pendant toute la durée de l’émission





--> Alors certes, cette affaire peut avoir une facette qui relèverait de problématiques en lien avec des activités prosélytes ou à coloration culturelle, mais la réduire exclusivement à cet aspect est plus que contestable et introduit un biais médiatique potentiellement non-dénué de conséquence sur l’opinion publique suivant cette affaire.



II. LA MISE EN SCENE D’UN TRIBUNAL MEDIATIQUE


Le visionnage de l’émission laisse effectivement l’impression d’un procès en direct de Jean-Loup Salzmann (président de l'Université Paris 13 à laquelle est rattaché l'IUT) à telle point qu’Olivier Galzi se sent obliger de concéder à celui-ci un « c’était courageux (de venir ici) » en fin d’émission.  Poursuivons l’analogie judiciaire…

--> Le présentateur de l’émission semble occuper la position d’un "juge" peu enclin à assumer une posture impartiale dans la tenue des débats :

+ Invoquant le rapport de l’IGAENR, le présentateur pointe avec force la responsabilité de Jean-Loup Salzmann : « c’est VOUS (nous mettons volontairement en lettres majuscules cette désignation marquée dans le ton de la voix --> 10’’10) qui êtes mis en cause dans ce rapport très clairement noir sur blanc ! »
+ Olivier Galzi poursuit l’accusation (12’’40) : « c’est un jugement assez sévère pour votre action, pour votre non-non action » en se prévalant toujours du rapport de l’IGAENR sur les dysfonctionnements de l’IUT de Saint-Denis. Le présentateur va plus loin en allant jusqu'à suggérer un lien entre une prétendue carence de Jean-Loup Salzmann et la dernière agression de Samuel Mayol --> lien catégoriquement dénié par Jean-Loup Salzmann « c’est vous qui faite le lien [… ] C’est votre responsabilité » (2).
+ Le présentateur continuera le questionnement de la responsabilité du président de l’Université Paris 13 tout au long de l’émission : « est-ce que vous avez pensé à démissionner ? » (21’’20) ; « beaucoup vous en veulent, beaucoup disent que le responsable c’est VOUS là-bas ! » (22’’55)… A chaque fois une dénonciation qui peut être légitime, mais qui manque en décryptage, en explicitation des griefs.


--> Tandis que Richard Malka, avocat de Samuel Mayol, occupe davantage une position de "procureur "(9’’00) :

+ « Pourquoi n’avez-vous pas déposé plainte après le rapport de l’IGAENR ? ». Réponse de Jean-Louis Salzmann : car « l’IGAENR n’a pas demandé cela » (l’IGAENR à qui il s’était adressé pour « savoir la matérialité des faits et ce qu’il fallait faire »).
+Richard Malka enchaîne : « est-ce que vous avez consacré 2 minutes à appeler Samuel Mayol suite à son agression ? ». Réponse de Jean-Louis Salzmann : « le DGS l’a appelé, l’Université l’a appelé ». L’avocat reprendra ce reproche en toute fin d’émission.
+ Plus loin, Richard Malka accusera Jean-Louis Salzmann de pratiquer la langue de bois, d’enterrer les conclusions du rapport de l’IGAENR… et lui reprochera de demander une nouvelle enquête de l’IGAENR (enquête qui serait sollicitée par le ministère et non Jean-Louis Salzmann --> 22’’00).

--> Si de telles postures sont parfaitement compréhensibles pour l’avocat Richard Malka (celui-ci étant dans son rôle de défense des intérêts de son client Samuel Mayol), elles le sont moins quand il s’agit du présentateur de l’émission eu égard aux exigences de déontologie journalistique pouvant être attendues d'un animateur d’une émission de débat ayant une vocation au « décryptage », c’est-à-dire ayant la prétention d’éclairer les spectateurs sur un sujet d’actualité plus ou moins complexe. 

--> Face à ces postures, force est de constater que Jean-Loup Salzmann garde une sérénité et une volonté constante de précision et d’argumentation. Voici quelques retranscriptions de réponses de sa part :

+ A propos des violences commises à l’endroit de Samuel Mayol, Jean-Loup Salzmann rappelle qu’il a condamné et dénoncé ces agissements (4''30>5’’00) ajoutant qu’il n’était pas la police, ni la justice pour agir plus spécifiquement concernant des violences commises hors de l’enceinte de l’université.
+ « Quand l’inspection générale nous demande de fermer les locaux (utilisée par une association controversée), nous les avons fermés ».
+ Olivier Galzi passe ensuite à la question de la distribution de sandwichs par cette même association : « l’association litigieuse aurait des droits exorbitants comme le droit de vendre des sandwichs alors qu’il n’y  a que le CROUS qui peut en vendre » --> démenti de Jean-Loup Salzmann : «  il n’y a pas que le CROUS qui peut vendre des sandwichs ? c’est une erreur, […] il n’y a pas de monopole en la matière dès lors qu’il y a  autorisation de l’université ».
+ Olivier Galzi suggère plus loin que pour Jean-Loup Salzmann cette affaire (dans ses multiples facettes) n’avait pas d’importance, Jean-Loup Salzmann le reprend alors : « je n’ai pas dit que ça n’avait pas de grande importance, c’est vous qui l’avait dit » --> 14’’00).
Jean-Loup Salzmann  recontextualisera cette affaire en rappelant les nombreux dysfonctionnements relatifs à cet IUT : constat qui a motivé sa demande initiale d’une inspection du ministère.
+ Surtout Jean-Loup Salzmann ne semble pas « se défausser » face à sa (ses) responsabilité(s) (16’’00), laquelle était à nouveau mise en exergue par Olivier Galzi sur la base du rapport de l’IGAENR --> et Jean-Loup Salzmann de répondre : « ils me disent (IGAENR) que je suis responsable donc j’essaye de réparer les erreurs que j’aurai pu faire.. bien sûr que je fais des erreurs, j’en fais tous les jours et j’en fait peut être une en venant aujourd’hui sur ce plateau».



III. LA QUESTION DE LA PROTECTION DE L’INTEGRITE PHYSIQUE DE SAMUEL MAYOL


Comme nous l'évoquions dans la première partie de ce propos, il nous semble que la question la plus pressante dans ce dossier est celle de la protection de l’intégrité physique du directeur de l’IUT. En effet, celui-ci a fait l’objet de dizaines de menaces depuis plusieurs mois ainsi que de 2 agressions dont une très récente (vendredi 8 octobre 2015).

Martine Cerf soulignait bien ce point en fin d’émission et dénonçait le fait que c’est le ministère et non la présidence de l’université qui avait porté plainte à cet égard. Face à quoi, Jean-Loup Salzmann opposa un énième démenti « mais je l’ai fait, je ne viens pas sur les plateaux tous les jours dire ce que je fais etc..» (23''17).

A partir de là, nous nous demandons bien à quel stade se situe l’enquête pénale diligentée sur la base de ces faits (menaces et agressions) d’une part, et pourquoi le directeur de l’IUT ne vient de bénéficier d’une protection policière que depuis le lundi 12 octobre 2015 (3). 

Si menaces et atteintes à l’intégrité physique et ou morale il y a, la justice doit, au plus vite, en retrouver les auteurs et en réprimer les agissements illicites.


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(1) Aux dires de Jean-Louis Salzmann, président de l’Université Paris 13 à laquelle est rattaché l’IUT de Saint-Denis, ce rapport devrait être suivi d’un autre rapport sur demande du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche - certaines conclusions du rapport étant contestées par la présidence de l'université Paris 13. 

(2) Démenti suivi d’une tentative de rétropédalage du présentateur : « ce n’est pas moi c’est Samuel Mayol qui le dit ».  

(3) L'information est donnée par Richard Malka durant l’émission.