lundi 3 décembre 2018

Quelques considérations juridiques sur l’« instrumentalisation » de la figure de Trump dans le cadre d’un appel au civisme


Merci à Rue89 Strasbourg d'avoir bien voulu ouvrir ses tribunes pour ce billet. 

Je le reproduis ci-dessous sachant que le format publié sur le site de Rue89 Strasbourg ne comprend intégralement les quelques indications fournies en bas de page. L'intitulé de l'article et les intertitres ont été rédigés par la Rédaction. 

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Un citoyen strasbourgeois s’étonne de la campagne mettant en scène Donald Trump pour inciter à voter aux élections européennes. Selim Degirmenci, juriste, questionne sa légalité. Voici son analyse juridique.

Il y a près d’une dizaine de jours, les Strasbourgeois découvraient des affiches, 150 au total [1], disséminées dans l’espace public sur différents éléments du mobilier urbain, ainsi que sur les pages Facebook et Twitter de la Ville de Strasbourg.
Il manque… la date limite
La campagne d’affichage en question, commandée par la Ville, se voulait un vecteur de sensibilisation destiné à inciter les citoyens non-encore inscrits sur les listes électorales à accomplir les démarches en ce sens, dans la perspective des élections européennes du 26 mai 2019, et ce, avant la date du 31 décembre 2018 – échéance, qui, au demeurant, ne figure pas sur l’affiche en question (!).
L’affiche, qui montre un portrait du président des Etats-Unis, Donald Trump, en partie surplombé d’une étoile bleue, elle-même ornée du drapeau de l’Union européenne, vise ainsi à mobiliser les électeurs potentiels autour d’un rejet de la figure de Trump, sachant que le président américain est régulièrement pointé du doigt pour son isolationnisme, son « populisme » (dixit Roland Ries [2]) ou encore son protectionnisme économique. Cette référence à Trump n’est sans doute pas étrangère à la montée en puissance, au sein de l’Union européenne, de dirigeants ou de mouvements politiques comparables, à l’instar de Viktor Orban en Hongrie, de Matteo Salvini en Italie, du parti Droit et justice (PiS) en Pologne ou encore de l’AfD en Allemagne.
Aussitôt rendue publique, l’affiche en question n’a pas manqué de faire parler d’elle, notamment sur les réseaux sociaux ; et beaucoup l’ont trouvée peu opportune, voire déplacée, suscitant des réactions pouvant se résumer à : « Que vient faire Trump dans les élections européennes ? », « L’Europe n’aurait-t-elle donc rien d’autre à dire pour mobiliser ses citoyens ? », ou encore « Revient-il à la Ville de prendre ainsi parti ? Est-elle dans son rôle en agissant de la sorte ? » [3].
Que dit le droit ?
C’est précisément cette dernière question qui nous intéressera dans le cadre de ces quelques lignes, et ce, du point d’un point de vue juridique.
Si, à première vue, la décision de mettre en place cette campagne n’a pas été formalisée par une délibération du conseil municipal, il n’en demeure pas moins que celle-ci a été révélée par le déploiement desdites affiches. Dès lors, cette décision administrative se doit de respecter la légalité, c’est-à-dire l’ensemble des règles de droit applicables aux collectivités publiques.
Ainsi, l’on peut, en premier lieu, se poser la question de la compétence de la ville de Strasbourg pour mener une telle campagne. L’exécutif municipal est certes bien compétent pour l’organisation des élections, et contribue, à ce titre, à la tenue et à la révision des listes électorales, en vertu du Code électoral.
La campagne n’incite pas seulement à s’inscrire
Toutefois, la campagne d’affichage en cause ne se limite pas à appeler les électeurs potentiels à venir s’inscrire sur les listes électorales. Elle leur suggère également indirectement d’accomplir un tel acte (« je m’inscris et je vote ») afin d’enrayer une tendance politique incarnée par Donald Trump. En cela, la campagne délivre indéniablement un message visant à suggérer une préférence politique, même si cette suggestion consiste en un rejet et non en une adhésion exprimée formellement en faveur de telle ou telle candidature. Dès lors, il peut être considéré que la ville de Strasbourg a outrepassé l’étendue des compétences qui lui sont dévolues pour être exercées « au nom de l’État ».

Quant au fond, la juridiction administrative a déjà été amenée à se prononcer sur la légalité de l’apposition par des collectivités territoriales de « signes symbolisant la revendication d’opinions politiques, religieuses ou philosophiques sur des édifices publics ». Le Conseil d’Etat avait estimé en 2005 qu’une telle exposition était contraire au « principe de neutralité des services publics » [4]. En l’espèce, le message véhiculé par l’affiche décrié pourrait être analysé comme exprimant la revendication d’une opinion politique consistant dans le rejet de la personne de Donald Trump, de ses orientations politiques et ou de sa manière d’exercer le pouvoir.
Une interrogation pourrait toutefois être soulevée quant à la qualification des mobiliers urbains servant de support à cette campagne : s’agit-il d’ « édifices publics » ? Il nous semble qu’une telle qualification est pleinement envisageable en ayant une appréhension souple de la notion d’ « édifices publics », à laquelle s’assimilerait la notion d’ « emplacement public » [5]. Dès lors, les mobiliers urbains concernés par la campagne d’affichage en question étant situés sur le domaine public de la commune, cette campagne d’affichage pourra bien se voir appliquer la grille de lecture donnée par le Conseil d’État. D’ailleurs, le rapporteur public, sollicité pour donner son avis sur cette affaire, avait affirmé, en des termes dénués d’équivoque, que : « le simple passant est en droit d’attendre des autorités responsables d’un service public qu’elles ne lui imposent pas, sur la voie publique, la vue d’un signe symbolisant un attachement particulier à un courant de pensée, à un parti politique ou à des convictions religieuses » [6].
La campagne d’affichage en question paraît ainsi des plus fragiles du point de vue de sa légalité [7]. Pour finir, les propos prononcés par Jean-François Lanneluc [1], directeur de la communication de la Ville de Strasbourg et directeur de cabinet de Roland Ries, au sujet de la campagne d’affichage, méritent d’être relevés pour leur caractère on ne peut plus cocasse : « La base de la démocratie, c’est le débat. Si les gens débattent, j’espère qu’ils auront envie de s’inscrire et ensuite de voter ; et… naturellement de choisir librement ceux qu’ils souhaiteront ». On peut douter de la sincérité de ce vœu et de la volonté de respecter ce principe libéral aux fondements de nos démocraties électives.


[1] Reportage vidéo de France 3 Grand Est publié le 23 novembre 2018 sur le site Youtube, « Donald Trump sur les affiches de la Ville de Strasbourg pour la campagne des élections européennes ».

[2] Dans le reportage de France 3 cité en note de bas de page 1, Roland Ries, maire de Strasbourg, reconnait que la figure de Trump n’est qu’un « instrument » au soutien du message selon lequel les populismes montants en Europe ne sont pas « la bonne voie ». C’est la raison pour laquelle nous employons l’expression « instrumentalisation » dans l’intitulé du billet.

[3] Pour une critique stimulante de cette campagne d’affichage, peut être lu le billet publié par Nicolas Kaspar, le 24 novembre 2018 sur le site Pokaa, « Strasbourg affiche Donald Trump dans ses rues pour inciter à voter aux européennes ».

[4] CE, 25 juillet 2005, n° 259806 : en l’espèce, le Conseil d’Etat avait estimé illégale la délibération autorisant la pose, sur le fronton de la mairie d'une commune située en Martinique, d'un drapeau rouge, vert et noir qui, s'il n'est pas l'emblème d'un parti politique déterminé, est le symbole d'une revendication politique exprimée par certains mouvements présents en Martinique.

[5] A cet égard, l’article 28 de la loi de 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat impose une obligation de neutralité religieuse pour les « monuments publics » et les « emplacements publics ».

[6] Francis Donnat, « Les drapeaux sur les édifices publics et la neutralité du service public », RFDA 2005. 1137

[7] Sachant, en outre, que le présent billet n’a pas abordé ladite campagne d’affichage à la lumière des règles propres à la période électorale, période durant laquelle les autorités municipales doivent redoubler de vigilance. 

Communiquer la Justice à l’ère des réseaux sociaux et de la société de l'instantanéité

L'article ci-après a été rédigé en juin 2018. 
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Combien de fois n’avons-nous pas entendu la convention partagée de nombre d'acteurs de la justice selon laquelle « le temps judiciaire, n’est pas le temps médiatique » ? Pourtant force est de constater que l’intervalle de temps entre ces deux séquences est de nos jours de plus en plus réduite, de sorte qu’il pourrait être possible  de constater, à présent, une certaine simultanéité entre ces deux phases.

Aussi les affaires pénales, civiles, administratives mais aussi constitutionnelles retentissantes donnent-elle lieu à des « directs »  principalement sur les chaînes d’infos en continu, dans lesquels l’on voit défiler différentes personnalités se prévalant à un titre ou un autre d’une expertise censée justifiée son « dire » sur l’affaire en question.

Ceci est bien sûr compréhensible à l’ère de la circulation désentravée et de la profusion continue des informations par le biais des médias « classiques » (presse écrite et radio-télévision) et des réseaux sociaux (Facebook, Twitter, etc). A cet égard, la liberté d’expression et de communication est consacrée par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et le Conseil constitutionnel affirme, de manière constante, que cette liberté « est d'autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l'une des garanties du respect des autres droits et libertés ».




Cette  « médiatisation » peut se justifier également, dans une certaine mesure, par l’exigence consubstantielle à tout « procès équitable », qui est celle de la publicité du débat judiciaire. D’ailleurs, cette exigence a depuis quelques années pris une dimension nouvelle, et à la pratique établie – et toujours foisonnante – de la chronique judiciaire s’est ajoutée, principalement, celle du « live-tweet » aux termes duquel les échanges au cours d’une audience sont simultanément retranscrits et partagés par tout quidam ou journaliste, sur un réseau social en l’occurrence. Le procès en correctionnel de Jawad Bendaoud a été symptomatique des virtualités d’un tel exercice de « communication », qui met en scène le « théâtre judiciaire » en dehors du strict prétoire.

La nécessité de faire connaître et de rendre commun la justice peut également trouver un fondement dans le principe inscrit à l’article 15 de la Déclaration de 1789 selon lequel « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration » et dont le Conseil constitutionnel a admis dernièrement le caractère invocable en tant que droit et liberté constitutionnellement garanti (décision n°2017-655QPC du 15 septembre 2017).

D’ailleurs la justice prend déjà le soin de communiquer « autour » de ses décisions principalement par le biais de communiqués de presse. C’est le cas du Conseil constitutionnel mais également de la juridiction administrative qui semble à cet égard avoir développé une véritable culture de la communication juridictionnelle et ce, des juges du fond jusqu’au Conseil d’Etat, qui, le cas échéant, va même jusqu’à diffuser des communiqués en langue étrangère. Il en va ainsi de l’accessibilité et de l’intelligibilité de la décision de justice au sujet de laquelle le citoyen intéressé doit pouvoir se faire une opinion ; quant au journaliste, il doit pouvoir y trouver une source fiable et un tant soit peu décryptée.

La justice civile et, dans une certaine mesure, pénale – rendant un nombre de jugements plus conséquent – trouverait sans doute matière à s’inspirer de la culture de la communication publique précédemment décrite. Elle pourrait alors espérer améliorer la réception et la compréhension – voire l’acceptation – de ses décisions les plus retentissantes et lutter ainsi contre toutes velléités de « fakes news » qui seraient diffusées par des personnes n’ayant pas accès au dossier de l’affaire en question. Il n’y a, à cet égard, qu’à observer les emballements politiques et médiatiques qu’ont pu provoquer des affaires de mœurs impliquant des mineurs, à l’instar de l’affaire dite de Pontoise.

Mais ce serait faire injustice à la justice pénale que de considérer que rien n’est accomplie en la matière puisque depuis près de vingt ans désormais, le secret de l’enquête et de l’instruction peut ponctuellement être mis en suspens par le procureur de la République « afin d’éviter la propagation d’informations parcellaires ou inexactes ou pour mettre fin à un trouble à l’ordre public ». Celui-ci rend alors publics « des éléments objectifs tirés de la procédure ne comportant aucune appréciation sur le bien-fondé des charges retenues contre les personnes mises en cause » (article 11 du code de procédure pénale).

Le public a bien connu cette possibilité à l’occasion non seulement des conférences de presse du procureur de la République, François Molins, faisant suite à des attentats terroristes ou projets d’attentats déjoués, mais aussi à l’occasion d’affaires criminelles sordides récentes. Le but de la communication est alors de préserver l’efficacité de l’enquête, éviter la diffusion de nouvelles inexactes, rappeler le respect de la présomption d’innocence, voire même veiller au respect dû aux victimes.

Dans une affaire criminelle récente, Edwige Roux-Morizot, procureure de la République de Besançon, appelait ainsi la justice à « reprendre la place qui est la sienne » : « la voie de la raison au milieu de cette folie médiatique ». A bon entendeur !





jeudi 10 mai 2018

Elections en Turquie - Coopération des partis d'opposition en faveur d'un retour à la normale de la démocratie turque

Il y a une vingtaine de jours, l'exécutif turc (c'est à dire Recep Tayyip Erdogan) prenait la décision (1) d'anticiper les élections législatives et présidentielles - initialement prévues le 3 novembre 2019 - en choisissant la date du 24 juin 2018. 

A cet égard, nombreux sont ceux qui ont évoqué des "élections éclair", tant la volonté du gouvernement actuel de l'AKP (Parti de la justice et du développement) semble avoir été de prendre par surprise les groupes politiques d'opposition, et ce sur fond de conjoncture économique dégradé et de contexte géopolitique caractérisé par une tension continue.

Ces élections ne sont pas anodines puisqu'elles verront entrer en vigueur l'intégralité des modifications adoptées lors du référendum constitutionnel du 16 avril 2017, qui se traduiront - pour faire court - par une rupture nette avec une tradition parlementaire séculaire (2) au profit d'une concentration du pouvoir, ainsi que par la prise d'acte de la déperdition du principe de primauté du droit. 

Le contexte national dans lequel vont se tenir ces élections (3) est très loin d'être idéal: 
- d'une part l'état d'exception (OHAL) déclaré, le 20 juillet 2016, à la suite du coup d'Etat avorté est toujours en vigueur, 
- d'autre part, l'égal accès des idées et opinions politiques à la presse écrite et à la radio-télévision est des plus limité, 
- enfin, l'appareil d'Etat tout entier est à la disposition d'un unique candidat et d'un unique parti ainsi que la campagne référendaire de 2017 a pu le montrer.  

Ces facteurs ne sont pas de nature à permettre la tenue d'élections compétitives et loyales. 

Néanmoins, ces circonstances n'ont pas constitué un frein pour les diverses forces d'opposition. C'est ainsi que plusieurs partis politiques ont formé une "alliance électorale" en vue des législatives - conformément à une modification récente de la loi électorale (4) - sur la base de principes communs que l'on peut rapidement résumer de la manière suivante :
retour à un régime parlementaire, restauration de l'Etat de droit et de la séparation des pouvoirs avec une justice indépendante et impartiale, garantie de l'ensemble des droits et libertés, volonté de contribuer à des élections conduisant à une représentation juste de la population et volonté de s'assurer de l'intégrité du scrutin contre toute velléité de fraude. 

Ces principes ont été consignés dans un document ou protocole intitulé "Déclaration de coopération électorale entre partis", dont le texte a été déposé auprès du Haut Conseil Électoral conformément à la loi électorale, après avoir été signé par le président de chacune desdites formations politiques. Si cette déclaration ne vaut que pour le scrutin législatif, nul doute que ses principes concernent également l'élection présidentielle. 

La démarche semble inédite, tant elle va à rebours de la tendance à la polarisation pesant sur la société turque depuis plusieurs années, en s'attachant à clamer haut et fort des principes universels au-delà des orientations et idées propres à chacun de ces partis politiques. 

Alors certes, d'aucuns rétorqueront que cette alliance ne comprend pas le Parti démocratique des peuples (HDP) (5) - et c'est un point qui a fait l'objet de vives critiques, mais cela ne doit pas - ne peut pas - à notre sens conduire à faire fi de cette démarche visant à assurer un retour à la normale de la démocratie turque. 




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traduction proposée 
via acceptions><croisées
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Déclaration de coopération électorale entre partis

5 mai 2018

La réalisation d'un accord autour des principes démocratiques par des franges de la société ayant chacune leurs propres modes de vie et opinions politiques est la condition sine qua non de la paix, de la sérénité et de la stabilité dont notre nation a besoin.  Dans toute démocratie, l'élaboration et la mise en application de la Constitution et de la loi électorale - en ayant pour référence le principe de primauté du droit, constituent la source de légitimité des gouvernements et incarnent les fondations du régime de compromis qu'est la démocratie.

Les modifications apportées à la loi sur les partis politiques et à la loi électorale concomitamment à la décision d'anticiper les élections regorgent de dispositions et d'obstacles de nature à vicier tant le principe d'équité dans la représentation, que la pleine expression de la volonté populaire. Neutraliser ces barrières qui se dressent devant la volonté de la nation est le devoir premier et fondamental de tout parti politique soucieux d’un fonctionnement sain de la démocratie. L'expression pleine et entière de la volonté nationale, l'affirmation d'une Assemblé forte reposant sur la séparation des pouvoirs, et l’édification d’une Turquie forte sont de l’intérêt partagé de l’ensemble de notre nation.

C’est pourquoi nous pensons qu’il est important que les partis politiques ayant des approches diverses au sujet des problèmes du pays et proposant des solutions différentes, selon leurs propres points de vue, réalise une « coopération électorale » afin d’assurer l’équité dans la représentation et de garantir que la volonté de chacun des membres de notre peuple soit représentée au sein de notre Haute Assemblée, sans aucune pression, ni manipulation.
Conscient des circonstances difficiles dans lesquelles se trouvent notre pays - en présence de notre Auguste Nation et en prenant à témoin l’ensemble de nos concitoyens, nous nous sommes réunis dans le cadre d’une « coopération électorale », afin de :
1- Mettre fin à la division et à la polarisation de la société, et contribuer à l’organisation d’élections équitable et sincère dans un climat de sérénité, de fraternité et de confiance ardemment souhaité par notre peuple ;
2- Normaliser le système politique de notre pays et refonder le champ politique à la lumière des principes régissant toute démocratie pluraliste et compétitive ;
3-  Assurer la prééminence du droit à l’aune du principe de la séparation des pouvoirs, et garantir l’indépendance et l’impartialité de la justice ;
4- Assurer la jouissance de l'ensemble des droits et libertés fondamentales - au premier rang desquelles la liberté d'expression et la liberté de la presse - par nos concitoyens et nos institutions.
Tout en conservant des programmes et des visions du monde différents, nous avons décidé, en tant que Parti Républicain du Peuple (CHP), Parti Démocrate (DP), Bon Parti (IP) et Parti de la Félicité, de coopérer en vue des élections pour les élections législatives de la 27ème législature qui auront lieu le 24 juin 2018. Dans le cadre de cette coopération, le Parti Républicain du Peuple (CHP), le Bon Parti (IP) et le Parti de la Félicité (SP) vont participer aux élections sous la dénomination commune d’« Alliance du peuple » avec chacun leur propre emblème de parti, tandis que le Parti Démocrate prendra part à cet Alliance en présentant ses candidats sur les listes du Bon Parti.

Cette déclaration s’adresse respectueusement à notre Auguste Nation.
Kemal Kiliçdaroglu, président du Parti Républicain du Peuple (CHP)
Gultekin Uysal, président du Parti Démocrate (DP)
Merak Aksener, présidente du Bon Parti (IP)
Temel Karamollaoglu, président du Parti de la Félicité (SP) 

Texte original (en turc).


(2) Avec ses hauts et ses bas certes, mais une histoire parlementaire tout de même.

(3) Voir à ce sujet notamment le communiqué de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe: Turquie : un contexte défavorable « empêchera la tenue d’élections véritablement démocratiques ».

(4) Cela a été rendu possible par une modification de la loi électorale turque à la mi-mars 2018 qui avait pour but de faciliter le regroupement de partis au sein d'une alliance en vue des élections législatives. La modification permet ainsi à des formations politiques de passer outre le seuil de 10% conditionnant la possibilité pour un député de siéger au Parlement à l'obtention par son parti politique de plus de 10 % des suffrages exprimés à l'échelle nationale. Si cette modification visait à satisfaire le MHP (Parti d'action nationaliste), désireux de s'allier à l'AKP, force est de constater que le MHP n'est pas le seul bénéficiaire de ces dispositions.   

(5) Dans le cadre de "visites de courtoisie" auprès de ses concurrents,  Muharrem Ince, candidat du CHP pour l'élection présidentielle, a rendu visite à Selahattin Demirtas, également candidat (HDP), et il a, notamment à cette occasion, appelé à une libération de celui-ci afin de permettre la tenue d'une élection compétitive et égale. Un appel similaire a été formulé dernièrement par Temel Karamollaoglu, candidat du SP pour l'élection présidentielle. 



samedi 31 mars 2018

Le rapport Clavreul ou les errements d’un certain discours sur la laïcité

AVERTISSEMENT: article publié dans le cadre des Lettres Actualités Droits-Libertés du CREDOF le 27 mars 2018


Ces dernières années ont vu une prolifération de la production non seulement normative mais également discursive traitant du principe de laïcité. A cet égard, un certain nombre d’avis, d’étude ou encore de rapport ont été rendus tant par des instances officielles (Conseil d’Etat ou autres autorités consultatives) que par des personnes missionnées par l’Etat. Le rapport de Gilles Clavreul, rendu sur commande du ministère de l’intérieur, avait ainsi vocation à se prononcer sur une amélioration de la coordination des actions menées par l’Etat et les collectivités territoriales en matière de laïcité. A la lecture, il s’avère que le rapport ne s’est pas limité au traitement de cette question, et a procédé davantage d’une volonté de faire ressortir des situations - réelles ou supposées - jugées problématiques en termes de  « laïcité, valeurs de la République et exigences minimales de la vie en société ». L’apparentement réalisé, à cette occasion, entre ces trois notions ou concepts n’est pas étranger aux tensions actuelles relatives à leur interprétation, et ne semble, en définitive, pas être de nature à contribuer à la tenue d’un débat public raisonné.



Le 22 février 2018, était rendu public un rapport intitulé « Laïcité, valeurs de la République et exigences minimales de la vie en société - Des principes à l’action » sous la plume du préfet Gilles Clavreul1. Celui-ci faisait suite à une commande du secrétaire général du ministère de l’Intérieur - membre de l’Observatoire de la laïcité - et visait à mettre en œuvre une recommandation générale de l’Observatoire tendant à « améliorer la coordination des actions des administrations de l’État et des collectivités locales sur le sujet de la laïcité ». Il devait donc a priori ne s’agir que d’un « document de travail » à finalité opérationnelle en vue d’une meilleure convergence des actions de formation et de pédagogie menées tant au niveau étatique qu’au niveau décentralisé. Le rapport a toutefois suscité de nombreuses réactions, au premier rang desquelles figure celle de l’Observatoire de la laïcité qui estime, dans un communiqué du 22 février 2018, que le rapport n’a pas respecté la commande du ministère de l’Intérieur en outrepassant le périmètre de celle-ci, faisant fi de certaines actions déjà menées par l’Observatoire et se caractérisant par un « manque de rigueur méthodologique ».

2L’analyse juridique de ce rapport n’est, à l’évidence, pas aisée pour une série de raisons tenant aux choix d’investigation de son auteur sur lesquels il sera revenu ; ce type de rapport se prêtant, selon nous, davantage à une étude sociologique ou encore sémantique2. Le rapport est d’emblée marqué par une absence de définition du principe de laïcité, ce qui n’est pas dépourvu de lien avec le contexte dans lequel cette mission a vu le jour, et qui n’est pas sans incidence non plus sur le contenu et la tonalité du rapport (1°/).
3La méthode de rédaction du rapport pose également son lot de problèmes ; le rapporteur n’hésitant pas à le reconnaître, lui-même, à différentes reprises. Ainsi il est fait état d’une succession de faits qui ne sont ni sourcés, ni confirmés. En outre, se pose la question de savoir à quel point le « diagnostic » esquissé par le rapport est représentatif de la réalité. En d’autres termes, la situation dépeinte est-elle représentée de manière fidèle ou superficielle ?? Enfin, il y a lieu de relever certaines inexactitudes juridiques ou contradictions quant à la présentation du droit applicable dans telle ou telle configuration (2°/).
4Ce biais méthodologique, conjugué à l’absence de définition du principe de laïcité dans le cadre d’un rapport ne correspondant que partiellement au champ d’investigation censé être le sien, n’est pas sans lien avec le message général que ce rapport porte en germe. Le message en cause conduit en quelque sorte à apparenter principe de laïcité, valeurs de la République et exigences minimales de la vie en société - rejoignant en cela un discours croissant appelant à une laïcité de plus en plus prescriptive (3°/).

La suite ICI : lien internet et PDF


1 Sauf erreur, le rapport n’a, à ce jour, fait l’objet d’une publication sur aucun site institutionnel : il a été mis en ligne par le journal Le Figaro sur un site dédié au visionnage de documents.
2 En guise d’exemple de ce qui pourrait faire l’objet d’une approche sémantique, ce passage tiré de la partie 1.1.2. Procession, célébrations en public et « prières de rue » (page 10) peut être lu  : « Plusieurs mouvements chrétiens organisent des prières collectives, parfois en conclusion d’une mobilisation de nature politique (opposition au Mariage pour tous) ou politico-humanitaire (soutien aux Chrétiens d’Orient) », « s’agissant des lieux de culte musulmans, des prières à l’extérieur de la mosquée sont évoquées dans plusieurs départements […], le plus souvent en invoquant une place insuffisante à l’intérieur du lieu de culte, ce que les maires ou les services du renseignement territorial infirment parfois, mentionnant une intention de « faire nombre », vis-à-vis des pouvoirs publics mais surtout des fidèles. ». Nous soulignons.

dimanche 7 mai 2017

Quelques observations avant l’annonce du 8ème président de la Cinquième République





Un scrutin grave et à la fois non-décisif

- Certains pensent encore que l’élection de Marine Le Pen à la magistrature suprême est possible. S’il est indéniable que le Front National n’a jamais été aussi proche de la présidence de la République, il est plus que vraisemblable qu’il n’atteigne pas cet objectif ultime en cette soirée du 7 mai 2017.

- L’enjeu est alors davantage celle du partage des voix entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron. Le score du candidat d’En marche s’élèvera-t-il à 55%-60% ou se rapprochera-t-il de 70% ? Cette question n’est pas dénuée de toute importance, l’ampleur du retentissement symbolique de ce scrutin dépendra ainsi considérablement de la force des suffrages exprimés en faveur de la candidate du FN. Quelle image la société française se renverra-t-elle non seulement à elle-même mais aussi à l’Europe et au monde ?

- Enfin dans l’hypothèse même d’une prise du pouvoir présidentiel par le FN, il convient de rappeler, qu’en dépit de la pratique présidentialiste de la Constitution actuelle, le président de la République a nécessairement besoin d’une majorité parlementaire cohérente et faisant preuve d’un minimum de discipline afin de l’accompagner dans son action ou du moins de ne pas l’entraver.  Et donc encore une fois, il convient de rappeler que les élections législatives et la configuration politique qui en sortira seront décisives à cet égard.


Front républicain contre Front national : un questionnement nécessaire

- La convocation d’un « front républicain » face à la menace du « Front National » n’est pas chose nouvelle, ce premier front s’étant déjà donné à voir en 2002 à la faveur de Jacques Chirac en lui permettant de remporter le second tour de la présidentielle avec plus de 80% des suffrages.

- 15 années plus tard un réflexe similaire a animé aussi bien nombre de femmes et hommes politiques que de composantes de la société civile (ONG, organes de presse, professions libérales…) ou encore d’agents publics en vue d’appeler à « faire barrage » à Marine Le Pen, et notamment à inciter les abstentionnistes (en ce compris les votes blancs) à se rendre aux urnes pour voter.

- Sur la forme ce réflexe n’est pas critiquable en tant que tel (1), même si j’estime que le vote est un acte avant tout individuel que le citoyen accomplit en son âme et conscience dans le secret de l’isoloir. Et à certains égards, les postures incantatoires ou consistant en des injonctions peuvent se révéler contre-productives: le « front républicain » devant, selon nous, davantage relever d’une éthique individuelle que d’une morale collective.

- Il ne sert à rien non plus de diaboliser l’adversaire, il convient de le traiter comme un adversaire légitime - aussi longtemps qu’il ne fait pas l’objet d’une interdiction. Le débat du 3 mai 2017 a été salutaire à cet égard, puisqu' il a permis de montrer l’inconsistance totale et la fébrilité extrême de Marine Le Pen (2).  

- En cela, la constitution et la mise en œuvre renouvelée d’un tel front (républicain) ne doit pas faire l’économie d’une réflexion critique sur les dynamiques qui ont conduit la société française à ce 2nd tour. S’il doit y avoir combat, il ne saurait selon nous se résumer à une bataille « organique » contre l’« entité » Front National mais devrait, de façon plus large, être engagée sur le terrain « substantiel » des idées. Ainsi ce n’est pas tant le FN qui s’est banalisé, que ses idées, notamment sur la question identitaire. Les journalistes Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin ont fait ressortir cette banalisation dans leur article en date du 5 mai 2017 : Comment les idées du FN se sont installées dans l'air du temps. Ce constat n’est pas inédit et le phénomène touche tant la droite que la gauche de l’échiquier politique qui se disent pourtant « républicains ».


En espérant que cette soirée du 7 mai 2017 constitue un commencement pour une prise de conscience massive et ne se conclue pas simplement par l’extinction du réflexe « front républicain ».






(1) Encore qu’une critique puisse être admise lorsqu’un tel réflexe est mis en œuvre par des agents publics s’exprimant ès qualité étant donné qu’ils sont en principe astreints à une obligation de réserve et un devoir de neutralité, mais aussi au respect de l’égalité devant la loi qui commande une stricte égalité de traitement des candidats nonobstant leur couleur politique.

(2) A ce sujet, il peut être constaté qu’une certaine posture de retrait ou de silence relatif a été un aspect de la stratégie d’ascension électorale du FN qui lui a plutôt réussi ces dernières années… jusqu’au fameux débat de l’entre-deux tours qui risque de ne pas être sans conséquence aussi en interne, au Front National.